À partir d’aujourd’hui, le Polyblogue vous offre une série de textes sur le Concours du meilleur sommelier du monde, mettant en vedette deux jeunes prodiges de chez-nous qui se sont qualifiés pour représenter le Canada à la compétition la plus relevée de ce domaine.
La (pas si) longue route de Plessisville à Anvers
Par Guy Bertrand
L’élève est penché sur son examen. Le silence dans la salle est total. Aucune des sept personnes présentes n’ose bouger, de peur de le déranger. Ce n’est pas banal de se préparer à affronter la crème de la planète.

Pier-Alexis Soulière a 31 ans. Il a déjà le parcours d’un homme qui pourrait être de 15 ans son aîné. Natif de Plessisville, dans les Bois-Francs, son frère et lui ont très tôt été exposés à une vision du monde à des années-lumières de leur environnement immédiat.
« Ma mère a toujours été avant-gardiste sur beaucoup de choses, comme faire du sport avant que ce soit la mode, se souvient-il. En alimentation, il y avait toujours des avocats et des mangues dans le panier à fruits. Dans le milieu des années 90 à Plessisville, ce n’étais pas courant. »
« Chez-nous, c’était vraiment différent dans l’assiette et le vin c’était un peu la même chose. »
« En y repensant, je me rends compte que ce n’était pas nécessairement des vins extraordinaires, mais il ne fallait pas une occasion spéciale ou un samedi soir pour en trouver sur la table. Ma mère a eu la chance de voyager en France et de développer un goût pour ce genre de choses, mais en plus, elle pensait différemment des autres personnes. »
Dans la salle de cours, Pier-Alexis est maintenant à la table devant le tableau. Quatre coupes sont disposées devant lui, deux contenant du vin blanc, les deux autres du rouge. Il écoute attentivement les directives de son ancien professeur et maintenant entraîneur, Romain Gruson, avant de se lancer dans la première dégustation.

Après avoir complété son DEC en sciences humaines au CEGEP de Victoriaville, le jeune homme hésite sur le chemin à suivre. Il songe à poursuivre en sciences politiques à l’université mais son travail dans un restaurant de la région lui a déjà donné un peu la piqûre de la sommellerie. Curieusement, c’est un de ses professeurs de politique, Jean-François Léonard, qui va l’aiguiller vers le vin. « Il m’a dit: arrête d’y penser et fais-le! (…) Si ça ne fonctionne pas, à l’automne, tu ira à l’université. »
« J’avais des intérêts en géographie, en histoire, en sociologie et en psychologie, des domaines qui se recoupent tous en sommellerie. Les deux derniers sont importants pour bien comprendre ton rapport avec les clients. »
Toutes les conversations se déroulent en anglais. Pour gagner le Concours de meilleur sommelier du monde, il faut pouvoir maîtriser au moins deux langues et participer dans une langue différente de celle d’origine. Pier-Alexis identifie correctement les quatre vins comme étant des argentins et trois des quatre cépages qui les composent. Il n’a pas utilisé tout le temps qui lui était imparti pour l’épreuve. Romain lui rappelle l’importance de le faire et de mettre l’accent davantage sur les terroirs des vins qu’il décrit.

Après avoir passé son ASP (Attestation de spécialisation professionnelle) à Québec, notre homme prend le chemin de Montréal où il s’inscrit à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec. Il y rencontre Romain Gruson dans le cadre du cours d’analyse sensorielle des vins du monde. « Il m’a apporté une vision différente dit-il en parlant de l’enseignant. À ce moment là, lui faisait un diplôme anglophone qui s’appelle le WSET (Wine & Spirit Education Trust), un diplôme un peu plus axé sur la business du vin. (…) Ça a piqué ma curiosité et ça m’a poussé à suivre le cours moi-même. »
Monsieur Gruson n’a pas de difficulté à évoquer les souvenirs qu’il a de son jeune étudiant de l’époque: « J’ai eu Pier-Alexis en classe en 2008. Il avait à peine 20 ans. Un garçon très éveillé, avec une mémoire assez importante, une plus forte intelligence et beaucoup d’énergie à canaliser et je me demandais comment cette énergie serait canalisée plus tard. »
« C’est sûr qu’on avait déjà l’impression d’un fort potentiel, comme un diamant brut, dont on ne savait pas trop ce qu’il allait devenir. »
Les tables et les chaises se déplacent rapidement dans la salle de cours. Pendant que le candidat va reprendre son souffle, les bénévoles présents réaménagent l’espace pour la prochaine épreuve qui consiste à faire le service d’un magnum de mousseux du Luxembourg à une tablée de 12 personnes, tout en proposant des bouchées pour l’accompagner, en plus de faire des suggestions d’apéritifs à deux dames du groupe. Parmi les supporteurs de Pier-Alexis, on retrouve Hélène Dion, de l’agence Sélect Vins AdVini, Chloé Germentier, conjointe de Romain, le vice-président du chapitre québécois de l’Association canadienne de sommellerie, Daniel Carreau, de même que le sommelier François Marchal, aussi membre de l’exécutif de la division québécoise de l’ACSP. Tous surveillent étroitement chaque geste et chaque parole de leur concurrent. Mis à part, une toute petite faute au service, l’exercice se passe bien.

Pier-Alexis a rejoint le club sélect des Masters Sommeliers en 2016, club sélect parce qu’un grand total de 256 personnes ont atteint ce statut depuis la création de cette attestation en 1969. Il est un des rares à avoir réussi l’exploit avant l’âge de 30 ans, et le seul autre Québécois avec Élyse Lambert à détenir le titre.
Ce succès n’étonne pas son ancien professeur: « En général, les gens font le dernier niveau du WSET (le Diploma) en trois ou quatre ans et lui l’a fait en moins de deux, ce qui est assez exceptionnel explique Romain. Par la suite, il a continué à étudier et étudier, il a passé dix années à ne jamais arrêter, à faire un degré après l’autre. »
Il n’en serait probablement pas là s’il n’avait pas accepté de s’exiler d’abord en France, à l’Université du vin de Suze-la-Rousse, puis à Londres, où il a participé à l’ouverture du réputé restaurant Dinner by Heston Blumenthal, avec une équipe de sommeliers dirigée par un autre grand nom du domaine, le Portugais Joao Pires.
« C’est pas une finalité le Master Sommelier, précise Pier-Alexis. C’est un défi personnel que tu te lances. C’est extrêmement difficile. Ça prend beaucoup, beaucoup de sacrifices. »

« Il faut que ton entourage comprenne que tu ne seras pas autant disponible pour les brunchs ou les fêtes de famille. Il faut que tu mettes ce temps-là dans l’étude et dans le perfectionnement de ton métier. Faut que tu sois vraiment en amour avec ce que tu fais, sinon ça ne vaut pas la peine. »
« C’est un métier qui est tellement vaste… C’est difficile de réussir sans avoir une expérience substantielle. Moi j’ai eu la chance de trouver très jeune ce que je voulais faire alors que d’autres vont le découvrir à 30 ans. Ça ne veut pas dire qu’ils sont de moins bons professionnels, c’est seulement qu’ils partent d’un peu plus loin. »
« Il y a des choses dans la vie que tu ne peut pas rusher. L’expérience est l’une d’entre elles. Il y a des situations qu’il faut que tu vives. »
Après le service du magnum, notre candidat se fait remettre un menu. Pour chaque plat, il doit trouver le vin qui sera l’accord parfait. À l’écoute des consignes de son entraîneur, on voit soudainement son visage s’éclaircir. Clairement, cette épreuve lui plaît. Son vaste bagage de connaissances sera un atout, car en plus de travailler au Québec et à Londres, son métier l’a conduit en France, en Australie et en Californie.

Pier-Alexis pour accompagner un repas fictif de plusieurs services.
« C’est sûr que d’avoir voyagé et d’avoir travaillé dans plusieurs marchés, ça ma aidé à développer une ouverture sur la sommellerie, sur toute sortes de vins, toutes sortes de style de clients, toute sortes de styles de restauration. Historiquement, le métier de sommelier était souvent réservé à des hôtels de luxe (…) alors qu’aujourd’hui, il y a des notions de sommellerie dans des bistros. Il y a toutes sortes de concepts et c’est ce qui est la beauté de la chose parce que je pense que le gagnant là-dedans, c’est le client. »
Notre candidat est maintenant assis devant dix verres de spiritueux, cinq blancs et cinq ambrés. Il doit pouvoir identifier l’alcool, son origine, ce qui est utilisé dans sa fabrication, etc. Il a 30 secondes par verre pour y parvenir. 30 secondes… pensez-y!

« Une de ses plus grandes qualités, c’est que c’est quelqu’un de focus, nous dit Romain Gruson, quelqu’un de concentré sur un objectif. On est dans une société qui est un peu éparpillée, dans les médias sociaux notamment. »
« Donc, Pier-Alexis n’est pas sur Facebook, il ne donne pas de temps à ce genre de choses. Il se concentre sur ce qui lui semble essentiel et il s’entoure de personnes qui semblent lui apporter le plus de bénéfices dans ses efforts… »
Clairement, l’élève est au diapason du maître. « Je n’ai aucun regret! J’ai tout fait ce que je voulais faire dans ma vingtaine, sauf que quand mes amis faisaient le party, ben moi, fallait que j’étudie. Un moment donné, si tu veux atteindre un niveau un peu plus élevé, il faut en faire des sacrifices. Ton talent se sera pas suffisant, pour gravir ces échelons-là. Faut mettre du travail. »
Dans la classe, les épreuves s’enchaînent. Épreuves qui requièrent vitesse et doigté. Comme un athlète, Pier-Alexis se réchauffe au fur et à mesure que les défis se présentent à lui. On le sent de plus en plus à l’aise, de plus en plus en contrôle. Cette maîtrise sera certainement importante lorsqu’il se présentera à Anvers le 10 mars, lors de l’ouverture du Concours du meilleur sommelier du monde.

« Ce sera une semaine extraordinaire qui va me permettre de montrer mon savoir faire et mon savoir être. (..) C’est la célébration d’un métier, d’un amour commun, d’être avec les personnes qui sont au top de leur métier pendant une semaine puis de se faire plaisir. La réalité, c’est que ces concours-là sont du bonus, c’est du gravy. »
« Je suis très touché de ça et je suis très heureux de ça et je veux le vivre et non le subir. »
« Je ne lui vois pas énormément de talon d’Achille, nous dit Romain, mais la seule chose que je vois (…), c’est qu’il n’a jamais fait le Concours du meilleur sommelier du monde qui rassemble les 60 meilleurs du monde entier, dont certains qui l’ont déjà fait deux ou trois fois. Pour lui c’est comme une nouvelle discipline alors ce sera intéressant de voir comment il fera là-bas. »
Cela dit, compétition féroce ou non, grand ou petit défi, Pier-Alexis Soulière ne va pas en Belgique pour s’amuser.
« Franchement, je ne pense pas qu’un compétiteur s’en va dans une concours juste pour aller faire le touriste (…) Si je vais au Concours du meilleur sommelier du monde et il y a quelqu’un qui est meilleur que moi ce jour-là, je suis capable de vivre avec ça. »

« Mais moi je veux m’assurer de pouvoir sortir ma meilleure performance ce jour-là. Après, c’est un métier qui est jugé, alors il y a des choses que je ne contrôle pas. Je vais contrôler ce que je suis capable de contrôler puis le reste ben, that’s it! »
Le 15 mars, ce sera officiellement la fin des concours pour le futur immédiat. Quelque soit son classement, à son retour, il se dirigera vers l’érablière familiale à Saint-Pierre-Baptiste pour « courir les chaudières » comme il le dit en souriant et pour passer du précieux temps en famille.
D’autres projets? « J’ai plein d’idées, mais on verra rendu là. »
