À la découverte d’un vin mal aimé mais aussi mal connu… sauf peut-être ici !
Par Guy Bertrand
Il y a un peu moins de dix ans, le vin orange faisait une timide apparition dans les celliers de quelques intrépides restaurateurs québécois. Or, la qualité n’était pas toujours optimale (pour demeurer poli) et les notes oxydées de la plupart des cuvées ont rapidement fait fuir plusieurs amateurs de vin.
À l’occasion du salon Printemps DÉZ-IP-PÉ, du regroupement des agences d’importation privée du Québec (Raspipav), j’ai donc décidé d’aller m’agiter le museau du côté de la douzaine d’exposants (sur 33) qui offraient des cuvées de ce type.
Un peu d’histoire
D’abord, il faut que vous sachiez que la fabrication de vins oranges, ça ne date pas d’hier.
En fait, les experts s’accordent pour dire que la méthode est née en Asie occidentale, plus précisément en Géorgie, il y a 8 000 ans. Cette méthode consiste essentiellement à faire macérer des grappes entières de raisins destinés aux vins blancs pendant une période qui peut varier de quelques heures à plusieurs mois. Elle a été reprise au tournant des années 90 par des vignerons italiens, dans la région du Frioul, et aussi de l’autre côté de la frontière par des collègues slovènes.
Depuis, plusieurs producteurs d’autres pays, surtout européens, se sont lancés dans la danse quelques fois avec une certaine réticence.
Un marché niche
C’est que le marché du vin orange demeure assez limité. D’ailleurs, selon un des représentants d’agence présents au Marché Bonsecours le week-end dernier, le Québec est l’un des territoires ou l’on en consomme le plus sur la planète.
En fait, on aime tellement l’orange que des agences de chez-nous proposent à leurs producteurs de se lancer dans l’aventure.
C’est notamment le cas de Benoit Lecavalier, proprio de Benedictus, qui a abordé la question avec l’un de ses producteurs allemands.
« Nous étions un peu sceptiques, au début », raconte Patrick Jacklin, petit-fils du propriétaire du groupe Heitlinger. En fait, les gens qui s’occupaient de la vinification avaient apposé un collant « Orange Ben », sur la cuve d’où devait éventuellement émerger cette curiosité, comme pour se dissocier de l’étrange expérience.

« Chez-nous, notre mentalité est qu’il existe deux types de vin: le bon et le mauvais », résume Jacklin. Il faut croire que l’idée de Lecavalier s’est finalement intégrée à la bonne catégorie.
Le Heitlinger Organic Contact Orange Wine 2021 est composé de pinot gris à 100 % dont les grappes ont macéré pendant cinq jours avant d’en extraire le jus qui a ensuite reposé en cuve d’inox. À 12,5 % d’alcool, il est parfait pour l’apéro.
Attention, le vin orange ne se sert pas aussi froid qu’un blanc ou un rosé. On préfère normalement le déguster à 13 ou 14 °C.
Notez aussi que tous les vins proposés ici sont disponibles seulement en importation privée, et donc habituellement en caisses de 6 ou 12. Formez-vous un petit regroupement et partagez le plaisir! J’ai inséré des liens vers les agences qui vous faciliteront la tâche pour commander, si tel est votre désir. Vous allez voir, c’est assez simple même pour le pogo le moins dégelé de la boîte, pour reprendre l’expression consacrée par Madame Massé.
Le vin de party, un peu traître…
Chez les Décuveurs, je suis accueilli par Maryse Gagné, qui me fait notamment déguster un vin d’Extremadura, en Espagne.
La cuvée Prelvm Raposa Naranja 2020, nous arrive du producteur Juan Leandro Romero, un pionnier de la région en ce qui a trait à la viticulture écologique et à l’élaboration de vins natures. Ce Naranja est fait entièrement de macabeu, cépage d’origine catalane, qui a passé 25 jours en amphores dont l’intérieur est recouvert de la cire des abeilles de la propriété. On détecte d’ailleurs de subtiles notes de miel à la dégustation de cet orange très séduisant, doté d’une belle fraîcheur.

On peut facilement l’imaginer à l’apéro, par une belle journée d’été. Et pourquoi pas dans un party ou encore mieux un mariage? C’est que Romero n’offre pas seulement ce vin dans la traditionnelle bouteille de 750 ml, mais aussi en boîte de cinq litres ou encore en tonnelet de 20 litres. La boîte à 122,97 $ vous fera économiser près de huit dollars comparativement au prix en bouteille (26,39 $).
Même chose pour le tonnelet mais ça prendra beaucoup, beaucoup d’amis pour passer au travers de celui-ci. À 15 % d’alcool, parfaitement intégré au produit, c’est quand même du solide. Comme on dit par ici, ça peut être traître…
La tradition slovène
On l’a vu plus tôt, la Slovénie est l’une des premières régions du monde à s’être investie dans la renaissance du vin orange avec la limitrophe région du Frioul, en Italie. C’est principalement en Goriška Brda que cette renaissance s’est opérée, mais Lydia Roussel, de Dieu du vin, nous fait découvrir un jus issu d’une autre région, Štajerska Slovenija, située à l’opposé de la première, soit dans le nord-est du pays.
Le Heaps Good Skin Contact 2021 n’en est pas moins une belle découverte, surtout si vous êtes amateurs d’agrumes. À 25,95 $, c’est une bonne affaire.

Retournons à l’ouest du pays, sur le tout petit bout de littoral slovène (46 km) qui donne sur la mer Adriatique. C’est dans ces contrées plus chaudes que Korenika & Moškon produisent leurs Malvazija Selection 2016.
Mathilde Savard, de Vin Oui, nous explique qu’après avoir passé 15 jours sur les peaux (la macération), le vin est envoyé en cuve pour 40 autres jours, avant d’atterrir dans des fûts de chêne (slovènes, évidemment) où il séjournera pendant deux ans. Tout cela, nous donne un produit d’exception, avec de belles notes de noisette, qui devrait tenir la route, toujours selon Maryse, jusqu’en 2030. À servir au repas avec un risotto de champignons sauvages, il me semble. Mais tout cela a un prix: 39,61 $ pour être plus précis. Pas donné, mais ça vaut la peine de vivre l’expérience.

La tradition italienne… ailleurs!
L’orange italien qui a retenu mon attention est celui proposé par Jean Laferrière, fondateur et président de Top Vin. Celui-ci nous présente le Tenuta Travaglino Oltrepo Pavese Ramato 2021, qui ne vient pas du Frioul mais bien de Lombardie, un peu plus à l’ouest.
Holà Jean! Cette bouteille 100 % pinot grigio, est-ce bien un vin orange?
Le patient importateur m’explique que ramato signifie cuivre en français. En fait, les gens de Travaglino appliquent simplement la méthode traditionnelle du coin pour vinifier le pinot gris, méthode qui date du XIXe siècle, et qui s’apparente à celle des vins oranges. Donc courte macération avant le passage en cuve pour cinq mois. Le résultat est frais avec une belle acidité et appelle la traditionnelle planche de charcuterie. Un bon produit qui vous reviendra à 26,75 $.

L’expérience d’un Fabre…
Quand ça fait 14 générations que tu fais le même travail, il ne peut en résulter que du bon. La famille Fabre est l’une des plus anciennes des appellations languedociennes, mais c’est un petit nouveau que m’a présenté Guillaume Fernandez, de l’Agence BMT.
On parle ici du Génération Louis Andrieu 2021 qui en est à son deuxième millésime.
C’est un 100 % sauvignon blanc, une rareté dans ces contrées, qui a macéré sur les peaux pendant dix jours. On a beaucoup d’agrumes dans cette bouteille, au nez comme en bouche. Guillaume le propose avec des fromages assez relevés, ce que je vais sans doute essayer parce que ce serait bête de s’en passer à 24,95 $ les 750 ml.

Un dernier orange… et un petit rouge pout terminer
Carol Lafontaine, fondateur de l’agence La Fontaine, ne peut pas être plus enthousiaste que lorsqu’il s’exprime sur le Domaine Labastidum, situé près de Toulouse, qui offre des cuvées de l’AOC Fronton. Son fondateur, Angelo Iseppi, est issu de la cinquième génération d’une famille vigneronne de Vénétie. Aujourd’hui, le vignoble est opéré par son deuxième fils Alain et sa conjointe Mireille.
Leur orange, appelé Stella, est un mélange à 50-50 de sémillon et de chardonnay. On note un petit pétillant en bouche et des notes de pêches. Il est offert à 30,69 $.

Carol a aussi tenu à ce que je déguste le Fronton de Labastidum composé de négrette et de malbec. Puisque j’en étais à mon dernier arrêt, je me suis laissé convaincre. Il n’y a pas que l’orange dans la vie! Et je ne l’ai pas regretté. Bel arôme de petits fruits, surtout de mûres. On me chuchote à l’oreille qu’un poulet grillé pourrait se laisser charmer par ce Solis 2020 de Labastidum qui se vend aussi 30,69 $ la bouteille.
La théorie de l’évolution
Mais pour en revenir à notre principal sujet, le vin orange suit le même chemin que les vins bios et que les vins natures. Les arrivages initiaux étaient de qualité très inégale, et peu à peu les choses se sont améliorées pour le plus grand plaisir de nos papilles. À découvrir, ou à redécouvrir si vous étiez parmi les pionniers qui ont goûté aux premières cuvées destinées à notre marché.
Après tout, l’orange au Québec, c’est winner! De la légendaire agrume dans le bas de Noël de nos ancêtres, jusqu’à la plus sympathique des mascottes en passant par le légendaire Rusty Staub et l’incontournable Orange Julep, cette teinte nous a toujours fait vibrer.
Enfin presque toujours…

Encore une fois, Guy, tu réussis à merveille de donner de la vie à un sujet qui est souvent plutôt terne. Je me pose toujours la question si l’intérêt québécois pour le vin orange sera un court passage ou une niche avec sa clientèle fidèle. Je suis impressionné que Benoit Lecavalier ait réussi à motiver son producteur allemand à tenter cette expérience et cela augure bien pour l’influence que nos agents peuvent avoir sur leurs producteurs. Merci pour ta rédaction de qualité.
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Merci à toi pour ce gentil commentaire Daniel!
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