Pendant six saisons, dans les années 60, Roger Moore a charmé petits et grands avec les aventures de Simon Templar. Il en a aussi fait rire plusieurs, et pas seulement avec son humour pince-sans-rire…
Par Guy Bertrand
C’est l’oncle Pierre (non, pas celui du Capitaine Bonhomme) qui m’a initié aux aventures de Simon Templar. En vacances sur la côte du Maine, l’oncle Pierre me prêtait ses éditions de poche du Saint, personnage imaginé par Leslie Charteris en 1928.
Le héros ayant la propension à protéger la veuve et l’orphelin (surtout la veuve jeune et jolie) me plaît immédiatement. C’est donc tout naturellement que je me mets à suivre la série télévisée mettant en vedette le regretté Roger Moore.

D’autant plus que ce fougueux Saint, noble et courageux, voyage aux quatre coins de la planète, a des aventures palpitantes et est très athlétique. À mes yeux de pré-adolescent, il est parfait!
C’est aussi (presque) l’opinion du chroniqueur télé de The Gazette, Jack Marsters, qui écrit au lendemain de la première émission : « La production est bien faite et (l’émission) n’est pas meilleure ni pire que n’importe quelle autre série consacrée au crime présentement à la télévision. »

Quelques décennies plus tard, comme c’est souvent le cas, les craques commencent à apparaître sur le vernis de l’aventurier… Et cela ne fait qu’ajouter au plaisir!
Un Saint qui ne se prend pas au sérieux…
Il faut d’abord savoir qu’avant d’en devenir l’acteur principal, Roger Moore avait tenté, en 1957, d’acheter les droits télé sur le héros imaginé par Leslie Charteris. « Je n’avais pas assez d’argent, à l’époque », déclare-t-il lors d’une entrevue diffusée en 1963 à la télé britannique.
Moore est donc ravi lorsque les producteurs Robert Baker et Monty Berman lui proposent de tenir le rôle de Simon Templar en 1962. Déjà connu pour ses prestations dans les séries Ivanhoe, The Alaskans et Maverick, l’acteur britannique est particulièrement heureux de s’éloigner des personnages plus « propres » qu’il a interprétés jusque là.

« Les héros n’existent pas, en ce qui me concerne, précise-t-il dans la même entrevue de 1963. Je crois que les gens qui ont lu les livres savent que le Saint est à la base un escroc, bien qu’on ne le dise jamais à la télé. Pour cette raison, (le personnage) présente un double intérêt, il ajoute un autre angle à sa personnalité (…) Sous contrat avec MGM, Warner et Columbia, j’ai toujours joué des héros très lisses, et donc on ne m’a jamais permis d’être photographié avec une cigarette ou un verre à la main. Maintenant que je suis le Saint, ça ne dérange plus. »

Moore ne fera jamais croire qu’il est doté de la même prestance que le personnage qu’il incarne. Il se décrit lui-même comme un parfait lâche. Lors d’une entrevue avec Barbara Walters, il ajoute qu’il ne voudrait pas être le Saint dans la vraie vie, « parce qu’il se met dans le trouble avec des gens plus gros que lui. »
Le Saint place la « bar » bas…
Si Baker et Berman ont réussi à acheter les droits du Saint à Leslie Charteris, c’est sans doute à fort prix puisque l’auteur, à la base, ne voulait pas de version télévisuelle pour son héros. Mais c’est aussi grâce à la promesse d’effectuer les tournages en film et d’accorder un budget de production de 30 mille livres par émission, soit l’équivalent aujourd’hui de 518 mille livres (selon la Banque d’Angleterre) ou de 850 000 dollars canadiens!
Bref, il restait probablement un peu moins d’argent dans les coffres pour les décors et autres détails.
Même si Simon Templar voyage aux quatre coins de la planète, rarement se retrouvera-t-il à l’extérieur des studios britanniques employés par les producteurs.
Et ça donne des résultats plutôt bidonnants.
Par exemple, qu’il soit à Londres, Paris, Montréal ou Genève, le Saint étanche sa soif dans des bars qui se ressemblent étrangement.
Pas besoin d’avoir un œil de lynx pour s’apercevoir que c’est pas mal toujours le même décor, avec le même comptoir.
Même chose pour les intérieurs de maisons cossues. Il faut croire (ou se convaincre) que les riches du monde entier font affaire avec le même décorateur.
Parlant de décor, admirez les magnifiques plis dans la toile qui devrait servir de ciel, derrière la jungle de l’épisode « The Sign of the Claw » (Série 3, 1965).

Vous en voulez encore. Celle-là est vraiment magistrale!
Dans « The Crooked Ring » (série 4, 1965), il faut croire que le combat de championnat de boxe de l’Empire britannique n’excite pas trop le public londonien.
Examinez-bien les dernières rangées de spectateurs. Oui, on a bien affaire à des personnages en carton.
Où est le CH ? Où sont les Leafs?
Clairement, mon ex-collègue Chantal Machabée n’était pas aux commandes des communications du Canadien lorsque le Saint a visité Montréal.
Dans l’épisode « Judith », de la saison 2 (1963), l’émission s’ouvre sur un magnifique plan du vieux Forum et, dans la séquence suivante… ce sont les Red Wings de Detroit qui disputent la victoire aux Blackhawks de Chicago!?! Puis, on voit Simon Templar crier « Go Maple Leafs », avant de retourner à l’action pour retrouver… les joueurs des équipes universitaires britanniques Oxford et Cambridge!!!
La Volvo du Saint
La firme Jaguar se trouvant dans l’impossibilité de fournir une voiture à la série pour une raison obscure, les producteurs se tournent vers la suédoise Volvo pour faire de la P1800, l’automobile officielle du Saint.
Et les gens de Volvo n’hésiteront pas à fournir plusieurs voitures à la série. Ce qui mène à cette situation rocambolesque.
Dans « The Frightened Inn-Keeper » (série 3, 1965), dont l’épisode se passe essentiellement à la campagne, la Volvo du Saint change de modèle à la 26e minute. Au début de l’émission, elle a des rétroviseurs sur les côtés qui disparaissent à ce moment. Par la suite, le premier modèle réapparaît seulement pour se faire détruire par une bombe quelques instants plus tard. Et, tout naturellement, la voiture sans rétroviseurs reviendra dans la séquence finale alors que Simon Templar annonce qu’il vient de l’acheter avec la récompense reçue pour avoir capturé les brigands de l’épisode.
Vous suivez toujours?
Encore mieux! Lors d’une scène de poursuite, à la 18e minute de « The Smart Detective » (série 4, 1965), la P1800 change d’allure deux fois. À l’origine, elle a un logo à droite sur la partie arrière de l’auto qui est remplacé par un sigle GB à gauche quelques instants plus tard.
Une impression de déjà vu…
L’ennemi juré du Saint, comme vous le savez peut-être, est le coriace inspecteur Teal, de Scotland Yard. Lors de l’épisode « High Fence » (série 2, 1964), l’inspecteur, accompagné d’un subalterne, circule dans Londres à bord de sa voiture de fonction. Jusque là, tout va bien.
Mais, quelques instants plus tard, on voit le Saint avec sa compagne dans son automobile, et c’est exactement la même scène qui se déroule derrière, avec les mêmes personnages!
Humour britannique
L’action de « To Kill a Saint » (série 5, 1967) se passe à Paris.
Donc, évidemment, les commandes du sauna appartenant au vilain sont en français… ou presque.

Attention aux brigands!
Les bandits de tout acabit n’ont qu’à bien se tenir. Quand le Saint est dans le coin, ça risque de tourner au vinaigre. Même s’ils sont invariablement vaincus à la fin, ces malfrats n’en sont pas moins dangereux.
Comme dans la scène finale de « Locate and Destroy » (série 5, 1966), ou l’ennemi du Saint a un pistolet de type Luger à la main. Attention, quand Templar le désarme, c’est plutôt un Browning qui tombe au sol.
Les producteurs de l’émission n’ont pas trop perdu d’argent avec les chorégraphes, surtout ceux chargés des bagarres. Dans « The Russian Prisoner » (série 5, 1966), Simon Templar en a plein les bras avec les Soviétiques Kirill et Pyotr.
Le Saint commence par faire culbuter le costaud Kirill au plancher. Celui-ci déjoue les lois de la physique et plutôt que de s’écraser au sol, se retrouve à rouler jusqu’au mur de la chambre.
Pendant ce temps, Simon décoche un direct à Pyotr qui l’envoie dans une autre direction pendant que Kirill passe derrière lui.
« Logiquement », le même Kirill se retrouve dans sa position précédente sur le plan suivant!
L’assassin vient à un poil de réussir à éliminer le Saint dans « The Set-Up » (série 3, 1965). À la 24e minute, on voit dans la mire du tireur ce qui semble être la silhouette de notre héros, avec une bonne tête de cheveux. Nenni!
Le futé aventurier a plutôt installé un buste à sa place, sur lequel un accessoiriste distrait a oublié de placer la perruque…
La magie du Saint
Simon Templar revendique sans aucun doute la façon la plus originale d’attraper un criminel de l’histoire de la télé. Dans un autre épisode qui se déroule au Canada, « A Sporting Chance » (saison 2, 1963), le Saint réussit un coup de filet pour le moins spectaculaire… à l’aide d’une canne à pêche.
Alors que le truand s’éloigne du quai à bord d’une chaloupe à moteur, le surprenant héros réussit à lancer sa ligne de façon si précise qu’il attrape le criminel à l’oreille avec son hameçon, avant de le ramener à quai comme un vulgaire poisson! Qui dit mieux?
Et c’est parti pour le générique de l’émission, dont la musique est créée avec brio par un des plus prolifiques compositeurs britanniques de thèmes pour la télé, Edwin Astley!
Un gars qui s’amuse!
Tout cela n’a pas empêché la série d’être vendue dans 63 pays et de générer des profits de plus de 585 millions de dollars.
Au cours des six saisons du Saint, Roger Moore a joué dans 118 épisodes en plus d’en réaliser neuf lui-même. Il est même devenu finalement propriétaire des droits, lorsqu’il a fondé une nouvelle maison de production avec un des producteurs originaux, Robert Baker.
Vous croyez que l’acteur a trouvé cette aventure difficile?
Voici ce qu’il racontait à l’animateur américain Dick Cavett, en 1971, avec son humour habituel : « Je n’ai vraiment jamais travaillé fort. Je me lève, je vais aux studios, je dis les mots si j’arrive à m’en rappeler et je rentre à la maison pour compter mon argent. »
Un bien drôle de Saint!
Merci aux fans d’IMDB qui m’ont aidé à localiser quelques séquences. Vous avez aimé? Pour les fans du Saint, sachez que vous pouvez revoir tous les épisodes sur l’application Tubi, et ce gratuitement. Bon, il vous faudra vous taper quelques commerciaux, mais il n’y en a vraiment pas beaucoup.
Cher Guy. Adolescent pendant les années ’60, le Saint faisait partie de mon éducation sur la vie et mon expérience de puberté. Avec cet article, tu viens de crever ma bulle imaginaire adolescente à la même hauteur que les Brahe/Copernic/Gallilé/Kepler ont crevé la bulle du géocentrisme de l’Église Catholique avec leur vision de l’héliocentrisme. Merci quand même pour cet article édifiant 😉.
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Je n’oserais présumer que mes écrits sont à la hauteur des travaux des génies que tu cites, mais merci quand même… et mes excuses pour ta bulle. 😂
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