Les liens ambivalents de René Lévesque avec le journalisme et d’autres échos du FIJC
Par Guy Bertrand
Carleton-sur-Mer – Certainement un des ateliers les plus attendus de cette deuxième journée du Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer, était celui développé autour de la relation paradoxale du regretté René Lévesque avec le journalisme.
Denis Lessard, journaliste semi-retraité de La Presse, évoque la fierté avec laquelle l’ancien premier ministre a toujours porté son titre de journaliste. « Toute sa vie, il a été fier d’être journaliste, souligne Lessard. À l’époque, les listes électorales étaient affichées sur les poteaux de téléphone, avec les noms et la profession des électeurs, et Lévesque a toujours eu sa profession inscrite comme journaliste sur ces listes. »
Le vétéran de la politique québécoise poursuit en citant le champion de la souveraineté dans la première chronique que celui-ci signait dans le Journal de Montréal, en juin 1970 : « Ce métier de journaliste, fascinant entre tous, n’a cessé de m’apparaître comme le plus beau et le plus satisfaisant que je connaisse ».
Lessard poursuit avec cet extrait des mémoires de Lévesque appelées Attendez que je me rappelle, publiées en 1987 : « (le journalisme) c’est non seulement le plus beau, mais aussi l’un des plus indispensables des services publics. Il faut être un esprit très léger pour ne pas s’apercevoir de l’aspect excitant et redoutable de cette responsabilité ».
Pourtant, après l’élection qui le porte au pouvoir en 1976, et surtout après l’échec référendaire de 1980, la relation de Lévesque avec les journalistes s’est lentement détériorée.
Son fils, Claude Lévesque, qui a aussi été journaliste au Droit et au Devoir, se rappelle : « Il acceptait la critique mais souvent, il avait des sautes d’humeur. (…) Il lui arrivait de trouver les questions des journalistes trop agressives, à tort ou à raison, mais il se défendait très bien parce qu’il connaissait les rouages du métier, et il savait passer son message quelque soient les questions embêtantes qu’on pouvait lui poser. »

« Après l’échec référendaire de 1980, il avait participé au congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, ajoute Lessard. Et dans un discours très dur, il avait accusé les journalistes québécois de ne pas avoir fait leur travail, de ne pas avoir été assez déterminés à défendre la souveraineté comme l’avaient fait leurs collègues du pendant anglophone au Québec qui, eux, étaient tous du côté fédéraliste. Mais ce n’était pas tenir compte de la réalité puisque la population québécoise était partagée aussi. »
Monsieur Lévesque c’était pas une image contrôlée du tout, renchérit le photographe Jacques Nadeau, du Devoir, qui a passé dix ans aux côtés du politicien. Il faisait ce qu’il avait envie de faire. (….) Dans ce temps-là, tu partais le matin à huit heures… ben, pas huit heures parce que c’était pas quelqu’un qui se levait tôt, hein? Le matin, va pas l’écœurer avec le Kodak, il aimait pas ça. Mais aussitôt que la journée était partie, il était correct. »
Nadeau se rappelle que les photographes anglophones affectés à la couverture du premier ministre n’hésitaient pas à jouer dur grâce à l’accès pratiquement continu qu’ils avaient à Lévesque, surtout pendant la période référendaire. « (Comme photographe) si tu passes la journée avec un politicien, t’as beaucoup plus de choix de massacrer la personne, ou pas. »
L’échec du référendum, la crise économique de 1981, les coupures qui s’en suivent et l’annonce du « beau risque » de René Lévesque, qui met en veilleuse l’option souverainiste, suscitent beaucoup de grenouillage dans le caucus péquiste entre 1980 et 1984. Les langues se délient, on cherche à amoindrir l’influence du premier ministre, et les reportages qui s’en suivent contribuent à détériorer les relations avec la presse.
Le 20 juin 1985, René Lévesque remet sa démission mais interdit à son attaché de presse de publier le communiqué l’annonçant avant les téléjournaux de fin de soirée, ce qui ne s’est jamais vu pour une information aussi cruciale. Il aurait déclaré : « N’en parlez pas à personne, je vais faire un pied de nez aux maudits journalistes. »
Pour Denis Lessard, « C’est l’illustration de tensions qu’il y avaient. Y a des gens qui disaient aussi que Lévesque n’aimait pas beaucoup le pathos, il ne se voyait pas faire une conférence de presse ou tout le monde serait larmoyant. »
Cette relation s’est rafistolée au fil du temps peut-être aussi un peu grâce au choix de son fils Claude de prendre la relève en information, en 1984, en entrant au journal Le Droit, d’Ottawa.
« Il m’a vu et il m’a encouragé, dit-il. C’était un bon père de famille libéral, si on peut dire. Il ne me critiquait pas, il me trouvait bon, même quand je ne l’étais pas. »
En passant dix ans aux côtés de Lévesque, Jacques Nadeau a eu un accès privilégié à l’homme. Un jour, il lui a demandé ce qu’était un bon média. « (Il m’a dit) c’est comme une personne. Il faut garder son identité tout en la faisant évoluer. Il faut voyager pour augmenter nos connaissances. »
Si la vie vous intéresse
Vous savez quel est le plus gros problème du directeur général des médias régionaux de Radio-Canada ? Je vous le donne en mille : le recrutement!
À tel point que Jean-François Rioux a dû se résoudre à engager des gens en Saskatchewan qui n’avaient aucune formation ou intérêt en journalisme et à les former pour pouvoir remplir des postes qui n’auraient pas pu être comblés autrement.
« À un certain moment, l’année dernière, on avait 70 postes d’affichés non comblés par mois, affirmait Rioux lors de l’atelier sur les déserts médiatiques, au FIJC. Et ça, c’est seulement pour les médias régionaux, ça n’inclut pas Montréal. Et (des postes) francophones, ça n’inclut pas CBC. »
Je vais faire mon « boomer » ici. Quand j’ai commencé dans le métier, j’aurais passé un pacte avec le diable pour obtenir un de ces postes. D’ailleurs, mes plus belles années en radio se sont passées dans des stations locales à Joliette, Port-Cartier et Longueuil, où j’ai eu la chance d’apprendre toutes les facettes du métier dans un environnement exceptionnel. Je n’aurais certainement pas connu une aussi belle carrière si je n’avais pas profité de ces opportunités.
Jeunes aspirants journalistes, vous avez une occasion en or d’apprendre votre métier. Sachez en profiter!

Du journalisme meilleur
L’atelier d’ouverture du festival s’attaquait aux grands enjeux du journalisme d’aujourd’hui avec quelques leaders de l’industrie journalistique québécoise.
Malgré tous les écueils auxquels il faut faire face de nos jours, le message n’était pas entièrement négatif.
Éric Trottier, directeur général du quotidien Le Soleil, à Québec, a eu ces mots particulièrement encourageants: « Nous vivons dans un monde hyper-complexe, (…) mais jamais je n’ai vu d’aussi bons journalistes au Québec. (…) Quand on a vu apparaître les « fake news » dans les années 2010, 12, 13 (…) on s’est dit que la seule façon de se distinguer s’était d’être encore meilleurs. »
Trottier souligne que c’est à ce moment que les grands médias écrits du Québec ont commencé à former des équipes d’enquête.
Aujourd’hui, les journalistes doivent aussi faire face, de plus en plus, à la cyberintimidation. Jean-François Bégin, directeur principal de l’information à La Presse, encourage ses journalistes à porter plainte dans les cas les plus extrêmes qui impliquent des menaces de mort ou de violence physique. Et ça fonctionne. On réussit à condamner quelques uns de ces « trolls ». Mais les interventions n’arrêtent pas là.
« Présentement, sur La Presse+, les gens n’ont qu’à cliquer sur le visage du journaliste pour lui envoyer un courriel immédiatement, et souvent il n’y a pas beaucoup de filtres entre le moment ou on appuie et les bêtises qu’on envoie aux journalistes. Donc, on est en train de travailler à créer un peu plus de friction dans le processus qui fait en sorte que les gens ont le temps de réfléchir un peu plus avant de nous écrire et, à l’autre bout, on trie davantage les messages qui se rendent aux journalistes.
Bonjour Guy!
Ça fait du bien de te lire à nouveau! Bon printemps.
Simon
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Merci Simon! Bon printemps à toi!
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