L’importance des médias en zone de guerre
Par Guy Bertrand
Carleton-sur-Mer – « Une maison sans porte ni fenêtre, c’est sombre et ça pue! »
C’est par cette brillante image* que Jean-François Lépine a abordé l’atelier sur le conflit en Ukraine, vendredi, au Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer.
L’image est bien choisie parce qu’elle évoque avec éloquence la pertinence du journalisme en ces temps où la désinformation est omniprésente, notamment au niveau de la tragédie ukrainienne où les envahisseurs (et parfois les victimes) cherchent la justification auprès du reste de la planète.
De là l’importance d’avoir des reporters sur place pour aider à départager le vrai du faux.
« Y a rien qui remplace le terrain », souligne Jean-François Bélanger, reporter international à Radio-Canada, dont les multiples affectations l’ont notamment amené sur le front ukrainien. « Alors que les gens se mettent à douter de tout, (…) iI devient plus important que jamais d’aller rencontrer des gens et de mettre des visages sur le conflit. (…) Je vais vous raconter l’histoire de Maria Livinenko qui a vu sa maison être bombardée deux fois. Et je l’ai vue la maison, je peux vous donner les coordonnées GPS, je peux vous dire ce qui s’est passé là. Je n’ai pas la prétention de vous dire tout ce qui s’est passé en Ukraine, mais ce que je vous raconte, je l’ai vérifié et c’est certifié. »
« Mon but c’est vous amener avec moi », renchérit Florence Aubenas, du quotidien français Le Monde, dont la feuille de route compte cinq séjours dans cette zone de guerre. « Là où je suis, vous serez, ajoute-t-elle. Ce que je vois, vous le verrez. (…) Le défi c’est que l’Ukraine devienne votre préoccupation. »
« La Presse n’aura pas de scoop international, ou en tout cas, c’est rare… », reconnait Isabelle Hachey, récemment sacrée journaliste de l’année, aux derniers concours canadien. « Moi ce que je trouve important, c’est que j’ai établi un certain lien avec nos lecteurs (…) et je cherche à leur traduire ce qui se passe en Ukraine par le biais de références dans lesquelles ils peuvent se retrouver. »

La reporter et chroniqueuse a effectué deux séjours en territoire ukrainien, le premier au début de l’invasion russe et le second en janvier dernier.
Elle voit une différence majeure entre ces deux moments.
« Quand on est arrivés au début de la guerre, (…) les gens étaient complètement abasourdis de ce qui se passait. Ce que je trouvais intéressant à raconter en tant que journaliste, c’est que tout leur monde s’écroulait du jour au lendemain. Et, un an plus tard, c’était très différent parce que la guerre s’était installée, la ligne de front était quand même stable. À Kiev, ça demeure dangereux, il y a des missiles de façon assez régulière, mais la vie a repris son cours, les gens continuent à vivre. Il y a une normalité qui s’est installée. »
Le point de vue de Florence Aubenas est distinctif par la réalité européenne qui est bien différente de la nôtre, dans le contexte où le vieux continent a toujours en mémoire les terribles conflits mondiaux de 14-18 et de 39-45.
«On entre de plein pied dans un livre d’histoire. On a tous vu des images des deux grandes guerres qui ont marqué nos esprits à tous et là, soudainement, c’est là! C’est l’hiver, y a de la neige, des tranchées, des types dans la boue jusqu’à la ceinture, très peu d’armement, du moins au début (…) et très vite, là on tombe dans une guerre très moderne. On lève les yeux, y a un drone, il faut se cacher. (…) L’autre chose, c’est que pour nous Européens, la guerre est à la porte de la maison. (…) Tout le monde a compris que la suite, c’était chez-nous », raconte la grande reporter.
Les journalistes déployés en zone de guerre ne règleront pas le drame ukrainien, on en convient. Mais la présence de ces courageux envoyés contribue à adoucir le conflit pour bien des gens.
Isabelle Hachey croit que ses écrits ont plus de chances d’apporter des changements au Québec lorsqu’elle touche des sujets locaux, mais maintient l’importance d’aller témoigner de ce qui se passe au pays de Volodimir Zelensky : « On est des médias de France, du Canada, des États-Unis, de partout en Europe, c’est le poids du nombre qui fait qu’on est là et qu’on peut braquer les projecteurs sur les atrocités qui se passent là-bas. »

Imaginez le même conflit qui se passe derrière des portes closes, relance Jean-François Bélanger. (…) Je suis peut-être un éternel optimiste mais parce que nous avons réussi à intéresser des populations à ce qui se passe là-bas, on a des petits villages de Gaspésie, de basse Côte-Nord et d’ailleurs qui ouvrent leurs portes à des Ukrainiens, qui les accueillent et les aident. On a des gouvernements qui mettent en place des procédures d’immigration accélérées et qui fournissent des armes aux combattants ukrainiens. »
C’est déjà pas mal, à mon avis. Vous ne trouvez pas? En tout cas c’est beaucoup mieux qu’une maison sombre qui pue.
*Je n’ai malheureusement pas pu localiser le nom de l’auteur de cette savoureuse citation. Si vous avez une idée, n’hésitez pas à la partager.