Au pays de René Lévesque, une brillante initiative pour rapprocher les journalistes des citoyens
Par Guy Bertrand
Carleton-sur-Mer – La préoccupation numéro un du milieu de l’information demeure certainement le lien de confiance qui unit les journalistes au public.
Une chance, au Québec, les nouvelles sont bonnes. La plus récente étude de la firme de communication Edelman, citée en mars dans Le Devoir, montre que 58 % des Québécois font désormais confiance aux journalistes, une hausse spectaculaire de 8 points par rapport à 2022. En comparaison, au niveau canadien, le baromètre de confiance stagne à 51 %.*
Le score québécois est donc bon, mais peut-on vraiment se péter les bretelles quand 42 % des gens ne vous font pas confiance?
Pour Bertin Leblanc, instigateur et directeur-général du Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer, il y a encore beaucoup de travail à faire. De là, l’idée de créer cet événement qui vise à rapprocher les journalistes des citoyens.
« Très honnêtement, au début de ma carrière, je ne me rendais pas compte de l’importance du journalisme, déclare le DG. (…) J’avais l’impression de faire quelque chose d’utile mais pas d’aussi fondamental. Et, en vieillissant, en voyant ce qui se passe à travers le monde, tu te rends compte que ce rouage là est très important. »
« On va essayer avec ce festival d’aider les gens vers ça, trouver des solutions, (…) et puis aussi rappeler le rôle fondamental que joue la presse dans les petites communautés comme dans les grandes. »

L’homme aux mille chapeaux
Bertin Leblanc n’est pas une bibitte ordinaire. Natif de New Richmond, en Gaspésie, l’émule de Tintin a roulé sa bosse dans le métier.
Avant de vous dérouler son impressionnante feuille de route, je mets cartes sur table. Bertin est un ami que j’ai rencontré en 1986 lors des premiers balbutiements de Télévision Quatre-Saisons, devenue plus tard V et plus récemment Noovo.
Donc, le journaliste originaire de New Richmond a été de la première équipe de TQS (le Petit Journal, vous vous souvenez?), mais il a aussi été correspondant pour Radio-Canada, France 24, TV5 Monde et le réseau américain CNBC. Il a été conseiller aux Affaires culturelles à la Délégation du Québec à Paris, a travaillé aux communications à Amnistie internationale, occupé le poste de rédacteur-en-chef à Reporters sans frontières et, ne l’oublions pas, a agit comme porte-parole de la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, poste alors occupé par Michaëlle Jean. Il a d’ailleurs pondu, avec l’illustrateur Paul Gros, une BD fort intéressante sur cette dernière expérience que je vous recommande si vous ne l’avez pas encore lue.
Avec une telle feuille de route et son emploi actuel (directeur de la communication pour l’ONG Ensemble contre la peine de mort), pourquoi diable se lancer dans l’aventure de ce festival?
LA COVID
« Pendant la COVID, j’ai perdu ma mère, explique Bertin. Elle a été une des premières victimes en région. Elle est décédé le 7 avril, quelques semaines après le confinement, et moi, j’étais en France.
« On a du attendre presque une année et demie pour la mettre en terre (…) et donc l’été où je suis venu pour ça, je me baladais à Carleton et je me suis dit bon, mon gars il faut que tu fasses quelque chose pour revenir d’une manière ou d’une autre de là où tu viens. En fait, je pense que quand on enterre ses parents, y a un phénomène qui se passe qui nous ramène à nos origines. »

Donc, c’est en joggant sur le barachois, face au Mont Saint-Joseph où il a fait ses premiers pas en journalisme télé que l’idée du festival a commencé à germer dans la tête du fiston de Doréa Dee (c’est le nom de fille de sa maman).
« Très vite, je me suis rapproché de la Ville de Carleton, je me suis assis avec un type qui s’appelle Alain Bernier qui est directeur du développement ici et un ami d’enfance, et on a commencé à monter le projet. »
L’ancien reporter voit grand. Des invitations à de grands reporters du Monde, du New York Times et du Washington Post, jusqu’à ce que son ami Bernier le ramène sur terre. « Il m’a dit qu’il fallait que le festival soit ancré à Carleton, avec des gens de Carleton. Moi j’avais déjà l’idée que l’information est un bien public, donc on a repositionné ça. »
Une organisation régionale et citoyenne
Notre homme recrute aussi le dernier membre de sa famille immédiate encore dans le coin, son frère Régis. « Moi, ici, je suis le frère de Régis Leblanc, je ne suis pas Bertin Leblanc, nous dit-il en souriant. Donc, c’est quelqu’un qui a été déterminant dans la construction du projet. »
Et l’organisation est bien ancrée dans la région. Mis à part un Montréalais, le conseil d’administration de l’événement est composé exclusivement de Gaspésiens. Pour l’aspect citoyen, on a aussi bien gardé le cap puisque plus de la moitié du c.a. est composé de gens qui ne sont pas des professionnels de l’information.
« Ça fait une énorme différence, souligne Bertin. Moi je m’occupais de la programmation et je leur soumettais des noms et ils me disaient : « C’est qui ça ? Ça ne m’intéresse pas! » Et ça, c’est hyper-important pour notre positionnement. (…) Ça m’a permis de faire une programmation qui pouvait avoir un écho avec les préoccupations des gens d’ici. »
Le souvenir d’un immortel
Le hasard a fait en sorte que ce premier festival soit organisé l’année où l’on célèbre le 100e anniversaire de naissance de René Lévesque. L’ancien politicien et journaliste est né et a grandi à New Carlisle, à 74 kilomètres à l’est de Carleton-sur-Mer. Faire de sa mémoire, un point central de l’événement est devenu inévitable.
« Régis et moi sommes allés visiter l’espace René-Lévesque à New Carlisle se souvient le cadet des Leblanc. On a fait le tour de ce lieu qui est absolument magique. Dans l’autobus pour revenir, j’ai écrit le projet. C’est sorti tout seul avec l’inspiration de Lévesque. »

L’attrait de la Gaspésie
On aurait pu trouver audacieux de faire venir des journalistes de toute la province en Gaspésie à la fin du mois de mai. Pourtant… « C’est bizarre, quand j’ai fait ma consultation de tous les milieux au Québec, y a personne, (j’ai dû parler à 150 personnes), y a personne qui m’a dit la Gaspésie, c’est loin. C’est fou. À la fin, je me disais est-ce qu’ils ont bien regardé la carte, les kilomètres, le prix de l’essence?
Malgré tout, ce sont donc plus de 60 professionnels de l’information qui ont répondu à l’invitation, dont plusieurs très grosses pointures québécoises, et notamment la grande reporter du quotidien Le Monde, Florence Aubenas.
Suivre le festival de la maison
Tous les ateliers du festival sont accessibles en direct et en différé sur la chaîne YouTube du festival, créée il y a quelques jours. Car l’organisation d’un premier événement de cette taille, c’est aussi ça: « L’avion est parti, et là on rajoute les ailes, le gouvernail etc. Mais ça se passe bien parce qu’il y a une grande fierté dans la région. Hier (vendredi), y a plein de gens qui sont venus m’embrasser que je connais pas, mais qui connaissent mon frère où qui connaissaient mes parents. »
L’avenir du festival
Bertin Leblanc reconnait qu’il n’a pas été facile de réaliser le festival. Le budget a été bouclé de justesse et tout le monde a du mettre les bouchées doubles.
« Mon conseil d’administration s’est transformé en comité organisateur ajoute-t-il. Ils m’ont dit : « T’es bien gentil mais l’année prochaine, on va pas donner 20 heures par semaine pour ton bazar ». On pourra pas tenir comme ça … Moi j’ai eu deux jobs cette année, j’ai fait ce festival et j’ai ma job pour gagner ma vie. »
La solution ? Un plan en trois temps.
La première année: réussir cette édition.
La deuxième année: stabiliser l’équipe.
La troisième année: avoir un plan d’expansion.
« Donc avoir un événement fort ici, mais aussi des micro-événements peut-être à Québec ou Montréal sur une seule journée précise le directeur général. Un peu un « best of » de l’événement. »
Et ultimement?
« De faire de Carleton-sur-Mer, l’endroit où, au Canada, on va réfléchir sur les grandes questions d’information et les questions citoyennes à court et moyen terme. »
Ambitieux? Pour paraphraser un contemporain de Lévesque pas très populaire par ici… Just watch him!
*Note: une autre étude sur la confiance envers les médias québécois, publiée juste avant le FIJC par la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, est beaucoup moins optimiste.