Peut-on aimer le football?

Par Guy Bertrand

La question est apparue cette semaine dans ma boîte de courriel, via le week-end read de Sports Illustrated. La journaliste Charlotte Wilder se demande si nous pouvons toujours moralement aimer le football en mettant en relief la violence du sport et les dangers de plus en plus évidents auxquels sont exposés les joueurs qui le pratiquent. Par opposition, elle se délecte toujours des prouesses athlétiques dont elle est témoin lors des longs dimanches qu’elle passe à regarder les matchs tout en « engloutissant bières et ailes de poulet avec les amis et la famille. »

MON PREMIER AMOUR

Je me rappelle exactement du moment où je suis tombé en amour avec ce magnifique sport. Nous sommes le 14 octobre 1970. Après avoir regardé avec la famille le classique programme double du mercredi à Radio-Canada (Moi et l’autre suivi de Rue des Pignons) je me réfugie dans ma chambre et j’ouvre mon radio-cristal qui ne capte que deux stations sur la bande AM, soit CJMS et CKAC.

La voix basse et éraillée du regretté Rhéaume « Rocky » Brisebois remplit mon refuge et  m’informe que les Alouettes tirent de l’arrière 27-8 face aux Lions de Vancouver, avec huit minutes à faire au match. Derrière la voix du respecté descripteur, j’entends les huées des amateurs réunis à l’Autostade. Résigné à une défaite, je m’empare d’un livre en gardant une oreille distraite sur les commentaires peu flatteurs mais combien colorés du Sieur Brisebois à l’endroit de l’équipe locale.

Je me perds dans une enquête de Sherlock Holmes, au moment où le quart-arrière Tony Passander, venu en relève à l’inefficace Sonny Wade, marque un touché.  Bof… Je replonge dans l’univers du détective anglais. Quelques minutes plus tard, j’entends le bon Rocky s’exclamer que la remise au botteur des Lions Ken Phillips est toute croche. Phillips est écrasé derrière la ligne d’engagement et les Oiseaux (oui Rocky les appelaient déjà comme ça, à l’époque) reprennent le ballon. Quelques jeux plus tard, Passander rejoint Terry Evanshen dans la zone des buts. Après le converti du botteur George Springate (qui était aussi député libéral au parlement de Québec) c’est maintenant 27-22, avec cinq minutes à jouer.

Sherlock reprend sa place sur ma table de nuit. Je suis captivé.

L’annonceur de CJMS me tient en haleine avec la description des prouesses défensives de Mike Widger et Mark Kosmos. Puis, l’attaque reprend le ballon et se retrouve avec un troisième essai à la ligne de neuf du Vancouver, avec un peu plus de 90 secondes au cadran.

« Le jeu du match » nous dit Brisebois.  Passander cherche à rejoindre Tom Pullen à droite, mais celui-ci est couvert. Il décide de courir, il est rapide, il plonge… TOUCHÉ ALOUETTES! Je bondis avec la foule dans ma petite chambre. J’exulte! Je suis transporté par ce que je viens d’entendre. Rhéaume Brisebois ne le saura jamais, mais il vient d’instiller une passion dans mon âme de jeune adolescent (qui est sur le point d’en découvrir d’autres via la puberté mais ça c’est une autre histoire que je vous raconterai peut-être un jour, si ça me dit).

À partir de cette soirée magique, je suis les Alouettes pas à pas pour le reste de la saison. Mes héros s’appellent Evanshen, Moses Denson, Peter Dalla Riva, Pierre Desjardins et… Sonny Wade qui, revenu dans les bonnes grâces de l’entraîneur Sam Etcheverry, va mener ma nouvelle équipe préférée à la victoire lors du match de la Coupe Grey.

Als

Cette soirée d’octobre va aussi reléguer le hockey et le baseball à un autre niveau. Jamais plus ces deux disciplines n’arriveront à déloger le football comme mon sport de prédilection.

Je vais tripper (on est dans les années 70, je vous le rappelle) à découvrir la NFL à travers les prouesses de Mes Cowboys de Dallas, avec Roger « The Dodger » Staubach, Calvin Hill, « Bullet » Hayes et « Too Tall » Jones. Je vais haïr avec passion les Steelers de Pittsburgh et surtout Terry Bradshaw, tout cela en écoutant feu Raymond Lebrun et Jean Pagé à la SRC.

Je vais insister auprès de mes amis pour qu’on continue une partie sans fin, sur le gazon du Stade municipal de Joliette, alors que la noirceur s’installe irrémédiablement et que le froid s’intensifie.

Plus tard, comme journaliste, j’aurai la chance couvrir mon sport, notamment les dernières et pénibles années des Concordes-Alouettes et la trop courte aventure de la Machine dans la Ligue mondiale. Ces expériences me permettront de rencontrer quelques un des mes héros, d’échanger avec les légendaires entraîneurs Marv Levy et Tom Landry et de lier connaissance avec LE coach, Jacques Dussault.

Enfin, mon passage à RDS me fera découvrir un tout nouveau monde peuplé d’une armée de véritables maniaques, et me donnera même l’occasion de décrire quelques matchs aux côtés de Pierre Vercheval, distingué membre du Panthéon du football canadien, et Dussault, les plus grands vulgarisateurs québécois du ballon ovoïdal.

DE RETOUR À LA QUESTION

Alors doit-on continuer à aimer le football? Pour être franc, je ne suis plus habité de la même passion.

Mais pas parce que le sport est violent. Bien sûr, je déteste voir un joueur plaquer tête première, ce qu’on va peut-être enfin réussir à bannir cette année;  je ne peux m’empêcher de penser à la famille lorsque j’en vois un autre inanimé sur le terrain; et ça me rend fou de voir des athlètes revenir au jeu après avoir clairement été secoués avec tout ce que l’on connait maintenant sur les impacts des commotions cérébrales.

Foot_logosMais je déteste aussi :

  • Les défenses dites de prévention en fin de match
  • Le ridicule règlement sur les passes captées ou non de la NFL
  • Le droit aux reprises télévisées qui ralentissent des matchs déjà trop longs
  • Les innombrables pauses commerciales
  • Certains propriétaires de la NFL qui ne pensent qu’à se remplir les poches
  • Leur commissaire dont le seul mérite est d’avoir réussi à leur faire faire plus d’argent
  • Les stades pharaoniques dans lesquels des centaines de millions de fonds publics sont engloutis alors que plus de cinq millions d’Américains vivent avec moins de quatre dollars par jour
  • Le débat ridicule entourant les protestations des Afro-Américains lors de l’interprétation de l’hymne national américain, protestations protégées – faut-il le rappeler – par le premier amendement de la Constitution du pays

Par contre, j’aime toujours:

  • Les jeux audacieux comme le Philly-Philly que les Eagles nous ont resservi jeudi
  • Les attrapés à une main d’Odell Beckham jr
  • Les fins de match époustouflantes qu’elles nous soient offertes par Aaron Rodgers, McLeod Bethel-Thompson ou Mathieu Girard
  • Les « vieux » qui continuent à exceller : Tom Brady, Julius Peppers, Drew Brees, Charleston Hughes,
  • Les entraîneurs québécois (Dussault, Jacques Chapdelaine, Glen Constantin et Danny Maciocia) qui ont amené le football universitaire canadien à un autre niveau
  • Les célébrations chorégraphiées d’après-touché
  • Les belles histoires comme celle de Shaquem Griffin que nous rappelait Miguel Bujold, ce matin

ALORS, ON PEUT AIMER?

Commotions cérébrales? Saviez-vous que le soccer est le sport qui en voit le plus?

Violence? Et la boxe? Et les arts martiaux mixtes? Et la lutte? (OK, celui-là n’est pas un vrai sport)

Le danger? On peut recevoir une balle à la tête à plus de 160 km/heure au baseball, on peut chuter à 150 km/heure lors d’une épreuve de descente en ski alpin, on peut se faire ouvrir la cuisse par un patin en courte piste. On peut se tuer en faisant du vélo ou de la course automobile. La liste des dangers que doivent affronter les athlètes de haut-niveau est longue.  Et vous savez quoi? Ils sont tous au courant et ils acceptent ces risques.

Alors oui, mais bien sûr qu’on peut aimer!

Tant qu’on pourra s’extasier devant la puissance des course d’un Tyrell Sutton, qu’on pourra admirer la touche d’un Matt Ryan, l’habileté d’un Antonio Brown, la force brute d’un J.J. Watts.

Tant que les successeurs de Rocky Brisebois et Raymond Lebrun, mes chums David Arsenault et Jean St-Onge, me feront passer de bons moments à les écouter décrire des matchs…

Pourquoi bouder son plaisir?

 

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