Un coeur grand comme le Québec!

L’aventure de deux cyclistes québécois au mythique Tour de France et l’histoire d’un troisième qui pourrait bientôt les rejoindre

Par Guy Bertrand

Montréal – Si sa marmaille ne le sollicite pas trop dimanche prochain, il y a de bonnes chances pour que David Veilleux soit devant son téléviseur pour assister à l’arrivée du 105e Tour de France, et on peut parier qu’il aura encore quelques frissons.

C’est que David était là, il y a cinq ans.

Le 29 juin 2013, en Corse, dans les rues de Porto Vecchio, il est devenu le premier Québécois à courir sur la Grande Boucle. Un accomplissement exceptionnel qui a nécessité de longues années d’efforts et de sacrifices et qui a commencé à se concrétiser quelques mois plus tôt.

« Dès le début de la saison, je roulais bien, raconte Veilleux qui défendait alors les couleurs de l’équipe Europcar. Je faisais des courses importantes avec nos leaders Pierre Rolland et Thomas Voeckler. Les choses s’alignaient bien pour le Tour mais il me manquait toujours une petite étincelle pour accrocher ma place, confirmer que j’étais à ce niveau-là. »

L’étincelle va arriver lors de la première étape du prestigieux Critérium du Dauphiné.
Dès les premiers kilomètres, il s’échappe avec trois autres coureurs et va faire cavalier seul sur les 50 dernières bornes pour récolter la victoire la plus significative de sa jeune carrière. Un exploit qui ébahit ses coéquipiers qui le surnomment le Caribou. Un des leaders d’Europcar, Thomas Voeckler, s’exclame devant le journaliste du Parisien : « On va en entendre des tabernacles! (…) Cette victoire, il est vraiment allé la chercher, ce n’est pas le peloton qui l’a laissé partir. »

Les experts le voient déjà au Tour, mais lui préfère ne pas s’emballer. « Mes coéquipiers me disaient que c’était quasiment impossible que mon équipe ne me choisisse pas, se rappelle l’ancien coureur. C’est venu trois jours plus tard, au matin du contre-la-montre, quand le directeur général de l’équipe (Jean-René Bernaudeau) m’a annoncé que j’étais sélectionné. (…) J’étais vraiment heureux d’autant plus que ça faisait onze mois que je travaillais pour ça. C’était un objectif de carrière. »

Un peu moins d’un mois plus tard, David Veilleux est donc au départ du 100e Tour de France. Son exploit est célébré partout au Canada. Le grand Steve Bauer, qui a roulé 11 fois sur la Grande Boucle, le voit même remporter une étape.

« J’étais un peu isolé de qui se disait ici en étant en Europe, donc je ne ressentais pas vraiment de pression. Je connaissais mon potentiel, mes limites et je savais à quoi m’attendre. Je ne me suis pas laissé emballer par rapport aux attentes des autres. »

UN ÉQUIPIER SOLIDE

Le rôle du cycliste qui avait alors 25 ans est d’épauler le spécialiste de la montagne de l’équipe, Pierre Rolland. « Il fallait le protéger s’assurer qu’il était toujours bien placé dans les moments critiques, au pied des côtes, dans les coups de vent, lui venir en aide en cas de bris mécanique, s’assurer qu’il ait ses bidons et de la nourriture. Nous étions trois pour le soutenir. »

Veilleux prend son rôle au sérieux. Au début de la deuxième étape, il démarre une échappée qui tiendra jusqu’au 85e kilomètre, une belle visibilité pour Europcar. Il va ensuite appuyer Voeckler qui tente de se détacher du peloton, et enfin à 12 km de l’arrivée, au pied du mur de Salario, il sauve Rolland qui a des ennuis de dérailleur en lui refilant son vélo. Rolland terminera l’étape avec le maillot à pois du meilleur grimpeur.

« Je savais qu’il n’y avait pas d’enjeu pour moi au niveau du classement général ou du résultat, se souvient le natif de Cap-Rouge. Pour moi, donner mon vélo, c’était un naturel et ça n’avait pas beaucoup d’importance. Pour lui, c’était d’une importance capitale parce que, près de la fin de l’étape, si jamais il perdait le contact avec le peloton, jamais de la vie il rentrait. Ça roulait très, très vite. Quand tu joues le classement général, tu n’as droit à aucune erreur et puis ce genre d’erreur, au bout de trois semaines, pouvait faire une différence énorme. »

TDF_Veilleux1.pngDavid Veilleux au Grand Prix cycliste de Québec

LA DURE EXPÉRIENCE DE LA MONTAGNE

Son véritable premier défi se présente quelques jours plus tard alors que le peloton est dans les Pyrénées. « Il y avait cinq ou six cols à monter. Là, ça a roulé toute la journée. Dès le début de l’étape, tout le monde voulait être dans l’échappée, donc au premier col, ça roulait très vite et ça a été comme ça toute la journée. On était cinq ou six groupes différents et tout le monde roulait au maximum pour entrer dans les délais. C’était très impressionnant, c’est comme si on était à la fin d’une course ou en échappée. J’étais peut-être 100e ou 120e, mais je roulais comme si j’étais premier. »

Le Québécois persévère mais n’est pas au bout de ses peines. « La dernière semaine, je commençais à être brûlé physiquement et mentalement. Les dernières étapes ont été très dures. Il a fallu que je persévère pour me rendre jusqu’au bout. La dernière semaine de mon édition, nous étions dans les Alpes et c’est la fatigue de cette troisième semaine que j’ai trouvé le plus dur. »

À force de s’accrocher et au prix de valeureux efforts, le dimanche 21 juillet David Veilleux atteint son objectif ultime, l’arrivée à Paris. « L’arrivée aux Champs-Élysées, ça m’a marqué beaucoup. Le premier passage, voir l’Arc de Triomphe et en plus c’était la 100e édition, alors c’était assez magique. (…) On est arrivé en fin de journée, au coucher du soleil, la lumière tombait tranquillement. Ils ont fait passer la garde nationale avec les jets. Il y avait beaucoup de monde et ça criait beaucoup. Cela m’a fait réaliser tous les efforts que j’ai pu mettre, toutes les années de sacrifice. En plus, je savais que toute ma famille était là pour m’accueillir. »

David Veilleux ne revivra plus jamais le Tour de France comme coureur. Quelques semaines après son retour, il annonce sa retraite pour se consacrer à sa famille et à ses études en génie mécanique. Il a arrêté « avant de m’écoeurer, dit-il. »

ET DE DEUX QUÉBÉCOIS…

Tirreno Etape 7
Antoine Duchesne – Photo: N.Götz / Equipe Groupama-FDJ

Antoine Duchesne est présentement en camp d’entraînement dans les Pyrénées, avec l’équipe Groupama-FDJ, en vue des Tours de Pologne et d’Espagne.

Trois ans après Veilleux, c’était à son tour de s’élancer sur l’épreuve cycliste la plus prestigieuse de la planète, en juillet 2016. Il défend alors les couleurs de Direct Énergie et le hasard veut qu’il soit aussi équipier de Thomas Voeckler, mais son rôle est d’appuyer le sprinter de la formation, Bryan Coquard. « Il y avait beaucoup de stress, se rappelle Duchesne. T’es au départ du Tour de France, c’est ce que tout cycliste rêve de faire un jour. On avait un équipe très solide bâtie autour d’un sprinter. Il y avait donc beaucoup de tension sur les étapes de sprint. »

Duchesne va aussi arriver à donner une petite visibilité à Direct Énergie en se détachant du groupe de tête à une quarantaine de kilomètres de l’arrivée de la septième étape. L’envolée va durer sur une quinzaine de kilomètres avant que le peloton ne rejoigne les fuyards. Malheureusement, l’objectif de l’équipe de remporter une étape ne sera pas atteint. « On a eu une deuxième et deux troisièmes places. On n’a pas décroché de victoire mais pour une équipe pro-continentale invitée, on a fait une belle performance. »

PAS UN CADEAU

Reste que le coureur de Chicoutimi peut lui-aussi s’enorgueillir d’avoir complété la plus exigeante compétition cycliste qui soit. « D’être là, de finir ça, puis de regarder derrière les Champs-Élysées, c’est un très gros feeling que j’espère revivre. Pour des équipiers c’est énormément de pression, du travail énorme surtout quand tu as des gros leaders pour le sprint ou la montagne. Tu n’as jamais d’opportunité personnelle. C’est rouler, protéger, une tension de tous les instants… C’est pas un cadeau être au Tour, mais c’est flatteur, c’est le summum du cyclisme. Un coureur qui dit : J’ai pas envie de refaire le Tour, c’est comme dire j’ai pas le goût d’être dans le 7e match de la finale de la Coupe Stanley. Ça s’peut pas. »

UN TROISIÈME POINTE À L’HORIZON

Duchesne est encore jeune et peut certainement y aspirer. Et pourquoi pas rêver d’y retourner avec son grand ami et colocataire Hugo Houle, qui est passé bien près d’être au départ, cette année ?
« Je le souhaite ! (…) Nous vivons les mêmes difficultés, les mêmes déceptions, les mêmes victoires… Il méritait vraiment sa place, cette année. Il a énormément progressé. »

houleHugo Houle – Photo: Astana Pro team

Rejoint au téléphone à Drummondville où il profitait récemment de vacances, Houle abonde dans le même sens. « Je suis content de voir les efforts payer. (…) À chaque année, je progresse un peu plus, ce qui est intéressant et le fait de changer d’équipe m’a apporté une nouvelle motivation. »

Maintenant avec Astana, le coureur croit être allé chercher un cap de plus. « Concrètement, c’est de pouvoir aller plus loin dans les compétitions, être en mesure de faire plus de travail pour les leaders, j’ai plus d’expérience et en plus j’arrive au sommet de ma forme physique puisque j’entre dans la tranche 28-32 ans. Donc, plus de force et d’endurance, je peux fournir de meilleurs efforts sur de plus longues distances. »

SI PRÈS… ET SI LOIN!

Le Tour de France ayant réduit le nombre de coureurs à huit par équipe, contre neuf par le passé, Hugo Houle est passé à un cheveu de se retrouver au départ de la Grande Boucle, cette année. Il a été le dernier retranché par sa formation, une situation qu’il a bien acceptée mais qui est revenue un peu le hanter dès la deuxième étape lorsqu’il a vu son coéquipier Luis Leon Sanchez être forcé à l’abandon, en raison d’une chute. « J’étais surtout déçu pour l’équipe. Je sais à quel point il est important à tous les niveaux, que ce soit au contre-la-montre par équipe, que ce soit dans les épreuves de transition et même en montagne. C’était dommage pour notre leader Jakob Fuglsang mais, bon, ça fait partie du jeu. »

En attendant, le cycliste de 27 ans se prépare à disputer les Tours du Danemark et de Norvège avant de revenir au Québec pour les Grands Prix du début septembre, tout en ayant une petite pensée pour le Tour de France de 2019. « Je vais travailler fort pour ça. L’équipe veut me préparer pour la prochaine édition. On verra si la forme est au rendez-vous, mais c’est définitivement dans les plans de faire le Tour, l’année prochaine. »

Et comment voit-il la possibilité de retrouver son copain et coloc Duchesne à ses côtés, au départ de la plus grande épreuve cycliste au monde ? « C’est l’objectif. On a fait les Jeux olympiques ensemble alors ça serait vraiment le fun de faire ça avec Antoine et pourquoi pas participer à une échappée ensemble? »

LE PRIVILÈGE D’ÊTRE LE PREMIER

Il aura fallu 100 ans pour voir un Québécois prendre le départ du Tour de France et le compléter, trois autres années pour en voir un second, et encore trois années plus tard, à l’été de 2019, Houle pourrait bien être appelé à être le prochain.

Mais David Veilleux aura toujours le privilège d’avoir été le pionnier. « Quand moi je rêvais à ça dans le sous-sol de mes parents, à 15 ans, il n’y avait jamais personne qui l’avait fait alors c’est sûr que c’est un peu plus gratifiant pour moi. »

21 étapes, 3 404 kilomètres à une vitesse moyenne de 40,542 km/heure. Que garde-t-on de tout ça ? Le « Caribou » est éloquent : « Tout. Le cheminement personnel, la persévérance, le travail d’équipe, le sentiment d’avoir réalisé quelque chose… Je garde tout… sauf la forme physique ! (rires)

Avec une fillette de deux ans et un bambin de trois mois à la maison, il aurait avantage à la retrouver rapidement !

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