Pour la durée du Tour de France, l’ancien coureur québécois François Parisien qui est aussi analyste à RDS, a accepté de nous livrer ses impressions à chaud, à l’issue de chaque étape.
Le Tour de France vu par un Parisien – Étape 12
Par Guy Bertrand
Montréal – Le Figaro parle de la « pièce montée qui embrase le tour ». Pour 20minutes.fr c’est « l’enfer sur terre ». Un « grand classique » pour l’Équipe et Midi Libre titre « L’Olympe du Tour ». L’Alpe d’Huez est l’épreuve reine de ce Tour de France, et pour cause.
Les coureurs devaient d’abord franchir le Col de la Madeleine (hors-catégorie), puis la mythique Croix de Fer (hors-catégorie) avant d’attaquer cette route en lacets ponctuée de 21 virages en épingle. 13,8 km d’ascension (à 8 % de moyenne, avec des passages à 14 %). Et si cela ne suffisait pas, il y a la foule. Au moins 500 000 personnes massées le long de la montée, dont les Néerlandais du fameux virage sept, réputés pour avoir le coude léger, à tel point qu’on avait annoncé un embargo sur la vente d’alcool, cette année.
C’était d’ailleurs la montagne des Hollandais après leurs sept victoires sur les dix premiers passages ici. On se demande maintenant, si elle n’est pas devenue celle des Français, gagnants lors des trois dernières ascensions.
Vous avez le portrait. Voyons ce qui s’y est passé, cette année.
Trois grosses pointures ratent la fête. Rigoberto Uran (EF), mal en point, déclare forfait avant le départ, et les sprinteurs Mark Cavendish (Dimension Data) de même que Marcel Kittel (Katusha) ont été exclus pour avoir terminé hors-délai, lors de l’étape d’hier.
Dans l’ascension de la Madeleine, Warren Barguil (Fortuneo) est le premier à déclencher les hostilités. À 17 km du sommet, l’échappée compte 30 coureurs dont Barguil et trois équipiers, en plus de Julian Alaphilippe (Quick Step), Mikel Nieve (Mitchelton-Scott), Alejandro Valverde (Movistar), et Steven Kruijswijk (Lotto-Jumbo), le mieux classé au général (6e à 2’40 de Gerain Thomas).
Tony Gallopin (AG2R) est le premier à montrer des signes de faiblesse et perd le contact avec le peloton. Il abandonnera quelques minutes plus tard. À l’inverse Alaphilippe se détache du groupe de meneurs à 300 m du sommet de la Madeleine. Les 20 points sont à lui. Barguil est second.
Pierre Rolland se manifeste à l’approche des Lacets de Montvernier (catégorie 2). Il distance le groupe de tête et va chercher les cinq points au sommet.
Ce groupe de tête se reforme au pied de la Croix de Fer. Ils sont 11, dont Rolland, Barguil, Nieve, Valverde et Kruijswijk.
Les sprinteurs souffrent. Dylan Groenewegen (Lotto-Jumbo), André Greipel (Lotto-Soudal) et Fernando Gaviria (Quick Step) abandonnent tour à tour.
Devant, Kruijswijk se porte à l’attaque. Le Néerlandais a trois minutes d’avance sur ses plus proches poursuivants au sommet de la Croix de Fer, une priorité qui augmentera jusqu’à 4’20 au début de la monté de l’Alpe d’Huez.
L’avance fond tranquillement et est à un peu plus de trois minutes avec 10 km à faire quand Vincenzo Nibali (Bahrain-Merida) se porte à l’attaque brièvement.
Tour à tour, Mikael Landa (Movistar) et Romain Bardet (AG2R) vont tenter leur chance, quand soudainement Froome s’élance. Il rejoint Bardet aussitôt et va chercher Kruijswijk en quelques coups de pédale. On le croit parti, mais Tom Dumoulin (Sunweb) mène la chasse qui le rejoint.
Les attaques vont se perpétuer sur les trois derniers kilomètres entre Dumoulin, Thomas, Froome, Bardet et Landa. Geraint Thomas appuie sur l’accélérateur à 175 m de l’arrivée et laissent les autres derrière. Dumoulin et Bardet, finissent deuxième et troisième respectivement.
Victime d’une chute près des spectateurs à quatre kilomètres de l’arrivée, Nibali réussit à limiter les dégâts en terminant à 13 secondes de Thomas.
Guy Bertrand : On a eu une espèce de bataille royale dans les cinq derniers kilomètres.
François Parisien : Dans les trois derniers kilomètres, les coureurs de tête faisaient pas mal jeu égal. Chacun a tenté son attaque sans réussir à se détacher. Ils pouvaient tous fournir un effort violent mais ils étaient incapables de le soutenir pour empêcher le retour des autres.
G.B : Un incident malheureux, avec un spectateur, fait perdre du temps à Nibali. Une chance l’Italien a réussi à limiter les dégâts, mais on l’a encore vu, c’est très difficile pour les coureurs avec tous ces spectateurs.
F.P : Même si l’organisation a travaillé très fort pour augmenter la sécurité et mettre des barricades très loin avant l’arrivée, cette chute est tout de même arrivée. C’est dommage parce que je pense que l’Italien aurait certainement été dans la bataille avec les autres à l’arrivée.
G.B : Comme Nieve hier, Steven Kruijswijk a animé la majeure partie de l’étape avant de se faire coiffer à la fin.
F.P : Il est parti de loin aussi. L’Alpe d’Huez, c’est quand même redoutable comme arrivée. C’est très long avec des pourcentages qui sont constants. Alors, si tu exploses, c’est difficile de te refaire. Il n’y a pas vraiment de répit jusqu’à la fin. Maintenant, je regarde aller la Sky et je ne vois pas comment ils peuvent se faire battre. Ce qui est remarquable, c’est qu’Egan Bernal a réussi à faire le même travail que Michal Kwiatkoski la veille, en imposant le rythme dans la dernière montée. Ce que je remarque aussi c’est que Froome n’est pas au-dessus du lot, cette année, dans les cols. Si ça reste comme ça jusqu’à la fin, à l’exception du dernier contre-la-montre, ça va être difficile pour lui de reprendre du temps. À moins que l’équipe force Thomas à perdre du temps volontairement, je ne vois pas comment ça pourrait se passer.
G.B : Hécatombe parmi les sprinteurs depuis hier. C’est normal comme situation?
F.P : Ça démontre à quel point ça roule vite devant, et à quel point le travail de sprinteur est devenu spécialisé sur le Tour. À tel point que les sprinteurs font maintenant l’impasse sur le travail en montagne. C’est un peu comme à l’époque de Mario Cipollini (vainqueur de 12 étapes sur le Tour entre 1993 et 1999) où les sprinteurs disparaissaient après la première semaine. Ça ouvre la porte pour Peter Sagan (Bora) en vue d’une victoire lors de la dernière étape sur les Champs-Élysées.
G.B : Un peu de répit pour les ténors du tour demain alors que l’on retourne sur la plaine, pour une étape de 169,5 km entre Bourg d’Oisans et Valence. Normalement, ce serait une étape de sprinteurs… En reste-t-il suffisamment (rires)?
F.P : Il va rester Sonny Colbrelli (Bahrain-Merida) et Sagan. Colbrelli va être mon favori pour demain. Mais le maillot vert est déjà joué à mon opinion. Sagan est seul.
François Parisien est analyste du Tour de France à RDS. Coureur retraité depuis bientôt cinq ans, François a connu une belle carrière qui l’a notamment vu remporter le Championnat canadien sur route en 2005 et une étape du Tour de Catalogne, en 2013. Il est le premier cycliste québécois à avoir remporté une épreuve du UCI World Tour.
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