Vieux amis d’étés révolus

Quelques titres, pas trop récents ou d’une toute autre époque, qui seront des compagnons de choix sur la plage, au bord de la piscine ou sur une terrasse, cet été.

Par Guy Bertrand

Note: Pour tous les titres cités en anglais, j’ai ajouté la traduction française et la maison d’édition qui la publie.

« Hein, t’as pas vu ça? Maudit chanceux! J’aimerais tellement pouvoir revoir ça pour la première fois. »

C’est de cette façon que mon amie Nathalie m’interpellait, l’été dernier, alors que nous discutions de nos séries télévisées préférées.

À sa façon, je veux aujourd’hui vous offrir quelques titres de livres qui m’ont procuré beaucoup de plaisir autrefois et que je relirais sans doute avec bonheur si ma table de chevet ne croulait pas déjà sous les ouvrages à découvrir.

Pas question de parler ici de la dernière nouveauté. Les journalistes spécialisés d’ici ou d’ailleurs le font déjà régulièrement.

L’idée est vraiment de revisiter d’authentiques perles qui, je l’espère, vous feront passer d’agréables moments, installé(e) confortablement sur votre chaise longue, votre breuvage préféré à portée de main.

Bref, bienvenue dans la joyeuse bande des maudits chanceux!

Un polar historique

C’est sous l’occupation, à Paris en 1943, que le prolifique Léo Malet donne naissance à son détective Nestor Burma, « l’homme qui met le mystère knock-out ». Il n’en est pas conscient à l’époque, mais Malet écrit alors le tout premier roman noir de l’histoire de la littérature française.

Originalement titré L’Homme qui mourut au stalag, cette première aventure de Burma est renommée 120, rue de la Gare par l’auteur, devant la réticence de l’éditeur à faire référence aux camps nazis. Le livre s’ouvre d’ailleurs à l’intérieur dudit stalag, où Malet a lui-même été envoyé par les autorités allemandes pendant quelques mois, entre 1940 et 1941, pour avoir signé un tract jugé subversif.

Le « détective de choc » que l’on découvre dans ce premier opus se démarque par sa perspicacité, son attirance pour le galbe d’une belle jambe et sa propension à prendre les coups. Au fil de ses péripéties, les commotions seront aussi nombreuses que les traits d’humour et les répliques assassines.

Et, au gré du temps et des publications, Burma retrouvera sur son chemin sa secrétaire, Hélène, ses congénères Zavatter et Reboul, sans oublier le journaliste éponge, Marc Covet.

Avec son écriture truffée d’argot, l’auteur nous envoie directement au cœur de la France de Pétain. Et d’ailleurs, il se fait une fierté de ne pas prendre son lecteur pour un con. Vous pourrez vous-même prendre la place de l’inspecteur, et aurez tous les éléments pour résoudre l’énigme à sa place… sans prendre de taloches!

Mais le pourrez-vous ?

Les araignées de Mars

Demeurons dans le noir, puisque le prochain bouquin s’amorce en pleine nuit.

Au beau milieu d’une tempête de neige, en 1978, quatre jeunes Écossais, unis notamment par leur admiration pour David Bowie et son album Ziggy Stardust, reviennent d’une solide soirée d’excès de toutes sortes, lorsque l’un d’entre eux trébuche devant le corps d’une femme agonisante qui se vide lentement de son sang. Celle-ci rend l’âme avant l’arrivée des secours, et les quatre amis deviennent les principaux suspects de ce meurtre crapuleux.

Dans la première partie de The Distant Echo, Val McDermid, nous entraîne dans la lente descente aux enfers de ces jeunes adultes et au cœur de cette enquête aux nombreux rebondissements.

L’as du roman policier écossais, ou Tartan noir comme elle le décrit elle-même, nous fait aussi découvrir la détective Karen Pirie, affectée aux affaires classées non résolues. 25 ans après les faits, Pirie aura la lourde tâche de réouvrir le dossier pour faire la lumière sur cette ténébreuse affaire.

En fermant ce livre, vous comprendrez pourquoi McDermid a écrit une trentaine de romans policiers, reçu une multitude de prix et vendu plus de 19 millions de livres. Ses œuvres ont été traduites dans 40 langues, dont le français.

Vous retrouverez la traduction de The Distant Echo sous le titre Quatre garçons dans la nuit, dans le catalogue policier des Éditions J’ai Lu.

Un grand Québécois

Je ne vous emmènerai pas en bateau en vous disant que j’ai adoré lire Agaguk, du regretté Yves Thériault.

Le problème est que le livre était une lecture obligatoire à l’école. Et comme je n’ai jamais aimé que l’on m’impose des trucs…

Alors, voilà, quelques années plus tard, je me retrouve à Port-Cartier, animateur à la station radiophonique locale (CIPC), où je reçois par la poste le livre La quête de l’ourse du même Yves Thériault. N’ayant aucune obligation de me plonger dedans, je me suis mis à sa lecture le soir-même.
Quelle belle plume que celle de ce baroudeur, originaire de Québec, qui a été (notamment) chauffeur de camion, annonceur radio, trappeur, boxeur, chanteur western et… fonctionnaire!

Thériault nous fait monter à bord du canot d’Antoine, ce jeune métis amoureux d’une blanche. Histoire d’amour qui tourne à la tragédie comme celles de Tristan et Yseult, Roméo et Juliette ou encore Jack Monoloy et sa Mariouche.

À l’opposé de ces grandes épopées cependant, ce ne sont pas des parents qui s’opposent à l’amour, mais le cruel destin qui prend l’allure d’une ourse croisée au détour d’un chemin par la belle Julie.

La quête de l’ourse, c’est le long chemin d’Antoine vers la vengeance et une sorte de rédemption. Écrit magnifiquement, le roman de Thériault m’a pris aux tripes en 1980.
Et il m’a conduit, logiquement, à lire Agaguk (que j’ai aussi adoré).

Échange torride sous les tropiques

« C’est que le sexe n’est pas fait pour les scrupules. C’est un échange de liquides, de fluides, de salive, d’haleine, d’odeurs fortes, d’urine, de sperme, de merde, de sueur, de microbes et de bactéries. Ou sinon, ça n’existe pas. Si ça se limite à la tendresse et aux sentiments éthérés, alors ce n’est plus qu’une parodie stérile de ce qui aurait pu être. C’est-à-dire rien. »

Pedro Juan Gutiérrez | Extrait de Trilogie sale de La Havane

Certains l’appellent le Bukowski tropical, d’autres le maître du réalisme sale cubain.
C’est un peu ça et un peu plus. C’est le Cuba que l’on ne peut voir qu’à l’extérieur des grands hôtels de bord de plage et bien loin du Malecon ou du centre historique de La Havane.

Ce sont ces jeunes qui assemblent des pneus d’avions et quelques planches pour en faire un radeau chargée d’espoir. C’est ce pianiste homosexuel au bord du suicide en raison d’un triangle amoureux complété par sa femme soprano et un jeune ténor auquel il ne peut résister. C’est ce créatif entrepreneur, propriétaire d’une rutilante Plymouth 1954 rouge, qui se remplit les poches en filmant des touristes s’amuser à bord du véhicule avec des péripatéticiennes locales.

Et c’est aussi une sexualité débordante, assumée et débridée.

C’est le Cuba que vous ne verrez sans doute jamais. Mais c’est aussi le voyage le plus authentique que vous ne ferez jamais sur la Isla Grande.

Camelot déboulonné

Howard Hughes, J. Edgar Hoover, les frères Kennedy, Jimmy Hoffa et une constellation des plus grands chefs de la mafia du début des années 60. Tels sont les principaux personnages d’American Tabloid, un bouquin absolument fascinant que j’ai dévoré de la première à la dernière page, dans les années 90.

James Ellroy a une façon bien particulière d’écrire. Quelques courtes scènes impliquant ces colorés protagonistes, entrecoupées d’extraits de dossiers du FBI ou de rapports d’écoute électronique.

Un style nerveux dans un cadre fascinant, le scintillant Camelot de JFK, dans lequel il fait évoluer ses propres créations: Kemper Boyd, Ward Little (tous deux agents du FBI) et le dur à cuire canadien français Pete Bondurant que l’on avait déjà croisé dans White Jazz, dernier volume du Quatuor de Los Angeles. Ancien policier corrompu, Bondurant est devenu un genre de mercenaire qui fraie avec tout ce qu’il y a de plus ou moins crapuleux.

Un d’histoire captivante ou il est parfois difficile de distinguer le réel de la légende et où tout le monde en prend pour sa gueule.

Dans la préface du bouquin, Ellroy termine en écrivant ceci: « Voici venu le moment de démythifier une ère et de bâtir un nouveau mythe en partant des égouts jusqu’aux étoiles. Il est temps de reconnaître les vilains et le prix qu’ils ont payé pour secrètement définir leur époque ».

American Tabloid porte le même titre en français. Publié chez Rivages (collection Noir), c’est le premier tome de la trilogie Underworld USA d’Ellroy.

Et une BD pour terminer…

Pourquoi une BD et pourquoi celle-ci?
Parce qu’une BD bien écrite et illustrée dans la lignée de l’école belge, c’est toujours cool, non?

Et parce que 1958, c’est mon année de naissance, parce que j’aime les expositions universelles, et parce que j’ai adoré mon trop court séjour à Bruxelles, et particulièrement mon passage à l’Atomium, symbole de cette expo de 1958.

Avec la guerre froide en trame de fond, on voit Kathleen, l’héroïne de l’histoire, et son amie Monique, se faire engager comme hôtesses pour l’Exposition universelle de Bruxelles.
Si leur patronne, Madame Devriendt, insiste sur le sourire et un comportement sans faille, la jeune Kathleen découvrira rapidement que son poste exige bien davantage.

Une belle réalisation signée Patrick Weber et Beaudoin Deville.

Bonne lecture et si vous avez vous-même un coup de cœur du passé à partager, je vous invite à le faire dans la section Votre commentaire, en bas de page.

2 réflexions sur “Vieux amis d’étés révolus

  1. Léo Malet et 120, rue de la Gare! Je ne saurais trop te recommander l’adaptation en BD qu’en a fait Tardi, qui a adapté plusieurs romans de Malet et a défini un univers graphique que d’autres dessinateurs ont ensuite repris.

    Aimé par 1 personne

Répondre à Guy Bertrand Annuler la réponse.