Petite danse (pas tout à fait) macabre

Où l’histoire du coït presque interrompu de ma 62e année… Mais, une chance, presque ça ne compte pas.

Par Guy Bertrand

Il m’a fallu longtemps pour publier ce texte. Premièrement, parce qu’il livre au grand jour une expérience bien personnelle, mais aussi parce que je ne tenais pas particulièrement à la revivre. Puis, à la suite de discussions avec quelques personnes, je me suis dit que cette histoire pourrait peut-être servir à des gens qui sont dans une situation semblable et qui ignorent peut-être des signaux qui peuvent s’avérer très dangereux.

Jour 1 – Vendredi 24 avril 2020

C’est sans doute une des plus belles journées du printemps jusqu’à maintenant.

J’écris ça, sans certitude, de la chambre 30 de l’Hôpital général juif de Montréal. Cette chambre donne sur une petite cour intérieure et je peux donc voir que le soleil est sorti. Et je vois sur le site internet d’Environnement Canada que le mercure a atteint 10 degrés.

Beau temps pour prendre l’apéro à l’extérieur. Hélas, je crois que les apéros ne seront plus au rendez-vous pour quelques semaines.

C’est que j’ai rendez-vous dans trois jours avec un chirurgien cardiaque. On parle d’un triple pontage, si j’ai bien compris.

Retour en arrière

Mais revenons en arrière.

En octobre, j’ai un rendez-vous avec mon médecin de famille. Elle me dit encore une fois la même chose qu’à mes quatre dernières visites. Je suis en super santé et elle ne veut pas me revoir avant 18 mois.

Taux de cholestérol, pression, rythme cardiaque, tout est parfait.

Je ne mourrai pas cette année.

Et là, machinalement, au moment de quitter je lui parle d’une petite douleur que je ressens à la mâchoire lorsque je fais des exercices à un haut niveau d’intensité.

Tout de suite, ses sourcils se froncent.

Elle me dit que ça pourrait être un signe avant-coureur de problèmes cardiaques.

Pour le moment rien d’alarmant mais elle me prescrit un test d’imagerie question d’y voir un peu plus clair.

Le test a lieu le 29 janvier.

Quelques semaines plus tard, alors que la crise de la Covid-19 commence, je reçois un appel de mon médecin. Il y a des traces de calcium dans les artères. Il faut pousser les investigations plus loin. Il y aura donc un autre examen plus poussé… mais on ne sait pas quand puisque le virus a tout arrêté.

Deux autres semaines passent avant que je reçoive un appel d’un cardiologue. Celui-ci me prescrit de la nitroglycérine, pour me soulager, et l’autre scan dont on ignore encore la date. Mais, il me confirme qu’il n’y a rien d’urgent.

Moins d’une semaine plus tard, cette fois c’est Tracy, l’infirmière du département de cardiologie de l’hôpital qui m’annonce qu’il y a de la place pour moi, le vendredi suivant à 07 h 30. Elle me dit qu’on va prendre des « photos de mon cœur » et que si tout se passe bien, je serai à la maison en début d’après-midi. S’il faut une intervention, ce sera à peine plus long. On me pose un petit ballon qui élargit l’artère et, au pire, je retourne à la maison pour l’apéro.

Comme le dit si bien mon grand ami : « Il faut battre son frère quand il est chaud. » Je fonce donc. Aussi bien régler ça rapidement.

Retour au 24 avril

Ce matin, je me présente donc au Montreal Jewish General Hospital.

Un mot d’abord sur le personnel magnifique de cet endroit. Malgré le stress immense et la menace sournoise de la Covid-19, tout le monde est d’une gentillesse exemplaire. Derrière le masque, on devine les sourires bienveillants des Jason, Caroline, Kira et Nadira. Et dans leur voix, on perçoit cette générosité, ce besoin de rassurer.

On y va donc avec le nouvel examen. Tout se passe bien. Petite incision au poignet pour introduire la caméra qui pourra nous dire comment est la circulation dans le coin du moteur.

Il est à peine 09 h quand je reviens dans mon cubicule ou mes anges veillent sur moi en attendant que le médecin vienne nous informer des résultats.

Le Docteur Emmanuel Moss arrive vers 10 h 45. Les nouvelles ne sont pas terribles. Trois artères bouchées, il faut ouvrir. Il m’explique la procédure patiemment et me rassure en disant que tout se passe bien dans 99% des cas. Puisque, autrement, je suis en excellente santé, il n’entrevoit aucun problème.

La grande question est… quand?

Si je ressors de l’hôpital aujourd’hui, il ne sait pas quand il pourra me revoir, mais si j’accepte de rester pour le week-end, on pourrait m’opérer lundi matin.

Voir citation plus haut concernant le frère qui est chaud. GO!

Le choc

Tout au long du processus, je suis en contact avec ma conjointe. Quand je lui raconte que ce sera lundi matin, elle est sous le choc. Moi aussi d’ailleurs.

Rapidement, on organise une liste de trucs dont j’aurai besoin au cours des dix prochains jours.

Elle vient me porter le tout alors qu’on vient de me transférer dans une chambre.

Évidemment, l’ami Covid oblige, pas question pour elle de passer la sécurité.

Une chance, un autre ange se présente en la personne d’Abel qui vient de monter la valise à ma chambre. Le gentil Abel m’amène à un endroit d’où je peux voir le hall d’entrée, un étage plus bas. Elle est là mon bel amour. Toute heureuse de me voir. Et moi donc.

Et là, ça me frappe. S’il fallait que je ne sorte pas d’ici. S’il fallait que je sois dans le 1 %. S’il fallait que je ne puisse plus jamais la serrer dans mes bras… Les larmes me montent aux yeux. J’espère qu’elle ne les voit pas. Je l’appelle sur son mobile. On se dit qu’on s’aime pendant qu’Abel attend patiemment à mes côtés.

Je lui dit au revoir après quelques secondes. On s’envoie des baisers et je retourne à ma chambre.

Le Dr Yves Langlois se présente vers 16 h 30. C’est lui qui sera le chirurgien lundi. Il me raconte en gros la même chose que le Dr Moss mais avec un petit ajout qui a son importance. L’artère principale est bouchée à 93 %. Et très haut. Donc, possibilité de mort subite!

Il ne parle pas de la bière…

Wow! Content d’être ici finalement. Il faut savoir que nous avions prévu un voyage d’un mois en Espagne qui devait s’amorcer en avril. S’il avait fallu que nous partions, peut-être ne serais-je jamais revenu. La Covid a possiblement sauvé une vie!

Le Dr Langlois aime le vélo comme moi. En fait, il aime ça pas mal plus que moi. Il se tape des cols en Europe et devait aller rouler aux Canaries avant l’arrivée de la pandémie.

Il me parle simplement mais directement. Pas de cachette, pas de faux-fuyant.

Je suis en confiance.

Mais j’aimerais quand même siroter un petit scotch…

L’attente

Passer un week-end à l’hôpital ne figure pas dans mon top 1 000 de mes destinations vacances privilégiées. Quand on attend en même temps de se faire ouvrir le thorax, disons que ça n’améliore pas les choses.

Pas question de sortir à l’extérieur. L’étage des soins cardiaques est évidemment bouclé.

Je prend donc des marches à l’intérieur du département de cardio. Top chrono : 6 minutes 30 pour faire le tour. Je ne rencontre pratiquement aucun autre patient pendant ces courtes sorties. La plupart de ceux-ci semblent beaucoup plus âgés que moi et plusieurs semblent être confinés au lit.

Entre deux visionnement de Netflix et autres Apple TV, je plonge dans un livre dont j’avais abandonné la lecture il y a quelques années. Ces petits divertissements sont entrecoupés de visites du personnel soignant qui pour prendre ma pression, qui pour me soutirer un peu de sang, qui pour m’emmener prendre une radio. Mais mon préféré c’est Marco qui est en charge de mes tests de Covid-19. Vous dire le plaisir… Malgré toute la délicatesse qu’il y met, l’expérience est franchement désagréable. Le pauvre Marco se confond en excuses même s’il manœuvre à la perfection. Mais bon, faut ce qui faut!

L’opération

Lundi matin aux petites heures, on me prépare pour l’intervention. Lavage, rasage, transport en salle d’opération, tout se déroule à un rythme accéléré. Pas le temps de penser. Et c’est tant mieux.

En moins de deux, je perds la carte. Parti pour cinq heures.

S’agit-il d’Anne, de Claudine, de Ruth?

À mon réveil, un doux visage est penché sur moi et me demande comment ça va. Plutôt bien! Je ne sens pas de douleur, je suis un peu engourdi, et je passe les 24 heures suivantes dans un état plus ou moins conscient, gracieuseté de la morphine. J’ai l’impression de vivre dans deux mondes parallèles. Je vis un truc, j’en parle, et je me rends compte que c’est complétement absurde. Les gens qui m’entourent rient avec moi. J’ai l’impression qu’il y a toujours quelqu’un près de moi. On me prend la main, on me rassure, on m’aide à parler à ma conjointe que j’essaie de rassurer autant que je le peux via téléphone.

Au bout de cet épisode surréel, je constate que je suis devenu une version réduite de Venise. Ce n’est pas trois mais bien cinq nouveaux petits ponts qui assurent maintenant une fluide circulation dans mes canaux.

La vraie convalescence commence. Physio, spiromètre, exercices. La morphine n’est plus de la partie, mais la douleur est pratiquement inexistante. Le moindre effort demande cependant beaucoup d’énergie et je me fatigue très rapidement.

Je suis donc souvent couché ou assis dans mon petit fauteuil, et j’observe le personnel.

« Nadira, vous êtes encore ici? »

Eh oui, elle y est toujours. La Covid-19 a emporté avec elle les protections prévues aux conventions collectives des infirmières et infirmiers. De longs quarts de travail. 12, 14 ou même 16 heures. L’obligation d’être toujours disponible et de se rapporter au travail peu importe l’endroit que ce soit ici au Jewish, ou dans un CHSLD de la région. Et il y a des zones chaudes partout. Imaginez le stress d’être constamment en contact avec un ennemi invisible et sournois.

Pourtant, le sourire est toujours là. La compassion dans chaque regard. Comme si j’étais devenu un membre de la famille.

Ils et elles sont d’ici et de partout. De la République dominicaine, du Congo, de Russie, du Vietnam, de la Chine, d’Haïti, d’Iran, du Sénégal. Ils et elles pratiquent toutes les religions : chrétiennes, musulmanes ou boudhistes.

Qu’ils s’appellent André, Kira, Mamata, Amanda, Stéphane, Xiao Li ou Arefa, à chaque fois que je vois leurs yeux, que je devine leur sourire et que j’entends leur voix rassurante, j’oublie que j’ai trompé la mort.

Je ne les remercierai jamais assez. S’ils avaient connu toutes les tracasseries qu’on fait vivre aujourd’hui aux candidats à l’immigration, je me demande bien qui m’aurait soigné…

Épilogue et morale de l’histoire

La morale de l’histoire? Si vous avez un historique de maladie cardiaque dans votre famille, comme c’est mon cas, il faut être très vigilant. Le moindre petit symptôme de malaise peut être crucial. Même si ce symptôme vous apparaît insignifiant, n’attendez pas pour en parler à votre médecin. Votre vie pourrait être en jeu.

Aujourd’hui, quelques jours après avoir célébré mon 62e anniversaire de naissance, je suis presque de retour à 100%. Au moment de sortir de l’hôpital, je peinais à faire quelques pas. Deux mois et demi après l’opération, je suis de retour sur le vélo et j’ai repris mes balades sur le Mont-Royal. Je ne me tape pas encore la montée Camillien-Houde mais ça viendra.

Je ne suis pas pressé. Il me reste toute une vie à vivre.

20 réflexions sur “Petite danse (pas tout à fait) macabre

  1. Cher Guy. Ta plume amicale et sincère réussit, encore une fois, à livrer un témoignage autant rassurant que surprenant.
    Je suis tellement heureux de lire le dénouement de ton récit qui est la deuxième bonne nouvelle de santé de ma journée; un résultat négatif d’un test COVID d’un membre de ma famille.
    Rien ne me ferait plus plaisir que, quand santé le permettra, tu t’offres une balade en vélo dans mon coin du Québec (Estrie) avec une escale prolongée chez moi.
    Garde le contact et surtout ne cesse pas d’écrire.
    Amicalement

    Daniel Carreau

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    1. Bonjour Daniel. Un grand merci pour ton message. Les côtes des Cantons devront cependant attendre encore un peu, le temps que je retrouve mes jambes. 🙂 J’espère que toi et les tiens vous portez bien. Amitiés, Guy

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      1. Bonjour Guy.
        Effectivement, les côtes des Cantons peuvent intimider mais il y a aussi tout le réseau des pistes de vélo qui ont été établies sur les anciens parcours ferroviaires (époque des moulins en Estrie). Plat, plat, plat mais enchanteur.
        À bientôt et surtout bon rétablissement.
        Daniel

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    1. Chère Tante Magdeleine, j’ai de la misère à me rappeler la date de mon anniversaire, alors pour les autres, c’est pas gagné! Cela dit, bravo pour ces 55 années de bonheur. Oncle Pierre est vraiment fait fort! 😂😘😘

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  2. Cher Guy, en partagant cet « épisode « de ta vie, malgré sa gravité, malgré le courage que ce partage a dû te demander, tu réussi par ta plume à nous séduire et à nous transmettre un message tout en douceur…à nous de savoir lire entre les lignes…

    Tout simplement merci,

    Diane 🌞

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  3. Mon ami de près de cinquante ans, je suis tellement heureux de te lire, tu n’as pas idée. Cependant ton aventure me laisse bouche bée et tu sais à quel point il est habituellement difficile de m’empêcher de parler. Je suis encore plus impatient de te revoir, comme nous nous le sommes dit à ton anniversaire. Prends bien soin de toi Le Guy et fais attention que tes soeurs ne battent pas le frère pendant qu’il est chaud…

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  4. Cher Guy,

    Quel bienfait ce partage !!!

    Message porteur pour tous ces hommes qui ont de la difficulté, simplement à faire un suivi médical annuel, qui prendront ton expérience en exemple, que LA PRÉVENTION OUI, ENCENSE LA VIE !!!

    Tu en es la preuve !!!

    Merci pour ton récit merveilleusement raconté, exposé ton intériorité révélé avec sensibilité !!!

    Très touchant Guy !!!

    Je veux souligner ton courage, ta bravoure, faire face en toute conscience à cette situation éprouvante !!!

    Ton cœur avait besoin d’un tendre rendez-vous avec ton âme… pour agrandir ta vie… célébrer ton existence… encore et encore…

    Eau de vie… bien en main !!!

    À ta santé Guy !!!

    Louise
    XX

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  5. Cher Guy
    Je viens d’apprendre en lisant ton blog, tes récent malheurs.
    Ça m’a ému et touché.
    Ben, tant mieux pour l’issue, compte toi chanceux, la vie te donne du temps, profites-en.

    Faits quand même attention à toi…

    Salutations à MC

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  6. Merde, en lisant ton histoire je me suis dit, comme je le fais de plus en plus souvent, que la vie, décidément, ne tient à pas grand chose, il suffit d’un rien pour qu’elle bascule.
    Vraiment heureux du dénouement.
    Quand tu seras prêt, on sera quelques-uns à vouloir le prendre avec toi ce scotch…
    Salut
    Sylvain D.

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    1. Merci Sylvain! Voilà une invitation qui me plait. Comme tout le monde, nous sommes présentement un peu limités pour les contacts mais encore plus parce que le papa de Marie-Claude est atteint d’un cancer. Il a 76 ans. Alors, nous sommes doublement sur nos gardes dans l’espoir de pouvoir le visiter bientôt. Mais, never fear, il viendra bien ce scotch!

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