Quand l’imposteur devient le meilleur!

L’histoire d’un beau succès québécois parti d’une idée générée par deux jeunes entrepreneurs et un créateur d’ici.

Par Guy Bertrand

Les bières Glutenberg en ont gagné des prix.

Plusieurs.

Mais le dernier trophée a une saveur particulière. Pourquoi?

Pour bien comprendre, il faut revenir un peu en arrière.

Dès 2012, alors que la brasserie en est à ses premiers balbutiements, elle balaie sa catégorie à la World Beer Cup, qui sont « un peu le Jeux Olympiques de la bière » nous confie le président et chef de la direction de Glutenberg, David Cayer, via Zoom. Sa brasserie récidivera avec une médaille d’or et une d’argent, dans la même catégorie, en 2016.

Les succès s’empilent aussi à l’échelle nationale avec au moins une médaille d’or au cours des sept dernières éditions des Prix canadiens de la bière et cinq balayages de la même catégorie.

La catégorie ? Les bières sans gluten.

La fondation

Cayer et son partenaire d’alors, Julien Niquet, ont fondé les Brasseurs sans gluten en 2010. Les deux jeunes entrepreneurs n’avaient alors aucune connaissance du domaine de la bière, mais Niquet était atteint de la maladie cœliaque dont les symptômes sont provoqués par une intolérance au gluten.

« C’est parti d’un besoin, se souvient Cayer. On s’est demandé quel genre de business on pourrait faire où on aurait un produit différencié dans un marché où on pourrait vraiment se démarquer. »

« C’était le début de la vague des microbrasseries et de l’alimentation sans gluten en 2010, et c’est l’opportunité d’affaires qu’on a identifiée. »

Se lancer dans un domaine dont on ne connait rien, c’est un défi de taille. Innover dans ce domaine en partant, c’est encore un peu plus fou. Premier item à l’ordre du jour : trouver un brasseur. C’est en plaçant une annonce sur Facebook que les deux compères vont dénicher la perle rare.

Le gluten?

« La business commençait à prendre forme dit Cayer, mais on n’avait pas encore de bière. On a trouvé ce gars-là, Gabriel (Charbonneau), qui habitait à Verdun et il a accepté. »

« Ma première réaction a été : qu’est-ce que le gluten? » Gabriel Charbonneau rit de bon cœur en se rappelant sa première rencontre avec Cayer et Niquet. On lui explique qu’il ne peut pas brasser avec des céréales qui contiennent du gluten – notamment l’orge, le blé et le seigle. « À ce moment-là, je me suis dit qu’est-ce qui reste? C’est un peu ça qui m’a challengé. J’ai vu qu’on était vraiment ailleurs. »

Gabriel Charbonneau à l’œuvre à l’intérieur de la brasserie.

Les trois collègues partent à la découverte de tout ce qui se fait dans le domaine, au Québec, ailleurs au Canada et partout sur la planète pour établir la qualité de l’offre. Le brasseur qui travaillait alors chez McAuslan se rappelle ces dégustations : « Certains produits étaient vraiment mauvais, d’autres étaient adéquats mais il n’y avait absolument rien qui était agréable à boire. À la blague, j’ai dit, mon Dieu si les gens qui sont intolérants au gluten sont pris pour boire ça, faut faire quelque chose, ça n’a pas d’allure! (Rires). »

Les premiers pas

Le fait que les cofondateurs ne connaissent rien à la bière amène aussi quelques obstacles. Charbonneau se souvient des premiers appels et échange de courriels avec les deux entrepreneurs pour leur indiquer ce qu’il était nécessaire d’obtenir pour commencer à brasser de la bière. Quelques jours plus tard, il reçoit une invitation pour aller préparer la première mixture des Brasseurs sans gluten. « Quand je suis arrivé là, toutes mes explications avaient ou bien été ignorées ou bien mal comprises. Il y avait une espèce de bas de nylon dans lequel ils essayaient de faire de la bière, ils ont tout brûlé, c’était dégueulasse. »

Le manque de connaissance de Cayer et Niquet a l’avantage d’établir clairement les responsabilités de chacun dans l’équipe. Les deux fondateurs s’occuperont du business et Charbonneau de la production, même si les trois continuent à partager les expérimentations.

« On allait goûter le vendredi soir se souvient Cayer. Ça goûtait le cidre, le jus de pomme, toutes sortes d’affaires et un moment donné on est tombé dessus. »

Eurêka!

Un moment crucial puisque la brasserie est sur le point de recevoir la visite de ses premiers investisseurs, essentiellement des parents et amis, qui ont bien hâte de déguster cette première bière. Or celle-ci n’existe pas encore…

« Je me rappelle que j’étais stressé parce que je savais qu’ils venaient dans deux semaines », nous dit Gabriel.

« Je me suis dit, celle-là même si elle goûte pas bon, je vais tellement mettre de houblon qu’elle ne sera peut-être pas une blonde accessible mais au moins elle va être bonne. Alors j’y ai été, disons, de manière agressive. »

Le matin de la visite des investisseurs, il découvre sa dernière création en même temps que tout le monde. « J’étais très nerveux que cette bière-là soit un flop comme les autres et c’était la première batch qui avait de l’allure. Évidemment, les gens qui avaient mis de l’argent étaient tout contents. Ils nous disaient qu’ils savaient qu’ils avaient fait un bon choix et nous c’était comme… ouf! (Rires) »

Le grand prix

C’est le début d’une longue série de réussites. Des prix nationaux et à l’étranger viennent récompenser la jeune équipe, tel que vu plus haut. Mais gagner dans la catégorie sans gluten c’est une chose, le nombre de concurrents étant nécessairement plus limité. C’est pourquoi le dernier prix a particulièrement satisfait le cofondateur de la microbrasserie.

À la mi-septembre, la Rousse de Glutenberg mérite le titre de meilleure bière du concours des Prix canadiens de la bière. La bière sans gluten l’emporte devant les meilleures bières traditionnelles en compétition!

« C’est une consécration pour nous, dit Cayer. Ça a toujours été un objectif d’élargir notre bassin de consommateurs au-delà des gens qui ont une intolérance au gluten ou qui sont atteints de la maladie cœliaque. »

« Parce que nous avons toujours été convaincus que cette bière-là était bonne, elle était bonne pour n’importe qui. C’en est un peu la démonstration. »

Le président des Prix canadiens de la bière, Rob Engman, va dans le même sens : « Cette année, Glutenberg a marqué l’histoire des Prix canadiens en enlevant le titre de meilleure bière du concours. C’était la première fois qu’une bière sans gluten obtenait le prix. (…) À mon avis, Glutenberg est le meilleur brasseur sans gluten au Canada et probablement dans le monde. Ils font un travail incroyable. »

« Nous on ne considère pas qu’on fait de la bière sans gluten déclare Charbonneau. On fait la meilleure bière possible avec des ingrédients sans gluten. (…) On va le dire, c’est une grande fierté parce que on a été mis sur un pied d’égalité avec les autres brasseries et qu’on n’a pas été considérés comme la brasserie sans gluten. »

La réaction des autres

« Je me demande comment l’industrie a pris ça », lance David Cayer, en parlant du prix.

Invité à préciser sa pensée, il ajoute : « On a peut-être toujours souffert d’une espèce de sentiment d’imposteur. Depuis le début, on est entré dans cette industrie-là avec quelque chose de bien différent, alors probablement qu’on a toujours été un peu regardé d’une façon différente. (…) Je peux me mettre à la place des autres brasseurs qui vont se dire coudonc, ils ont tu payé les juges? C’est un peu à la blague que je dis ça. Je suis sûr que les gens sont très fiers. On a eu beaucoup de félicitations aussi des gens de l’industrie. »

Le brasseur derrière cette rousse note que « comme dans tous les autres domaines il y a des hurluberlus et des gens de toutes opinions » mais qu’il a généralement une bonne relation avec les autres brasseurs. « On en a eu des commentaires aussi de gens qui se posaient des questions qui ne comprenaient pas mais ça été fait dans les règles de l’art. On l’a déjà testé à l’aveugle et la Glutenberg rousse se compare admirablement bien dans sa catégorie toutes bières confondues. »

L’impact

Alors, ce prix, quel effet a-t-il sur la brasserie?

Le président et chef de la direction du Groupe Glutenberg, David Cayer.

« L’impact est à plusieurs niveaux, indique David Cayer. Avant d’avoir un impact au niveau des ventes ou du public, il y aussi un impact au niveau de la mobilisation des employés qui est tellement importante aujourd’hui, malgré le COVID. On pense que le marché du travail est plus facile, mais aucunement. C’est tellement difficile de garder des employés et de les garder mobilisés. (…) De leur donner une source de fierté supplémentaire, c’est sûr que ça aide. (…) Même pour nous, ça redonne un peu une raison d’être à ce qu’on fait dans un sens et ça nous donne un deuxième souffle en disant : ben tabarouette, après 10 ans on est encore pertinent puis les gens aiment nos produits et ça, c’est vraiment important. »

Une dizaine d’années qui ont été bien chargées. De la fondation de Brasseurs sans gluten au tout début de l’aventure, on est passé au Groupe Glutenberg qui emploie maintenant une centaine de personnes. En plus de compter sur la brasserie sans gluten, le groupe inclut maintenant deux autres brasseries, Vox Populi et Oshlag, qui est aussi une distillerie, en plus du distributeur Transbroue.

Le rêve

Les produits Glutenberg sont maintenant disponibles dans toutes les provinces canadiennes de même que dans plusieurs états américains. Cayer espère pouvoir couvrir tout le territoire voisin d’ici la fin de l’année. Et après?

« J’ai une vision pour que la marque Glutenberg, que cette bière-là, on la voit partout dans le monde déclare le président de 37 ans. On le dit parfois à la blague, mais (le rêve serait) partout où il y a de la Heineken, tu peux avoir de la Glutenberg. On peut rêver à ça parce qu’on a le produit pour. Après, ça prend juste les moyens pour s’y rendre. »

Autres succès québécois

Depuis 2014 – seules données disponibles sur le site des Prix canadiens de la bière – les microbrasseries québécoises ont bien tiré leur épingle du jeu, en méritant au moins 20 médailles à chaque année.

Parmi les bières primées, mentionnons que la Brasserie des Mille-îles avait aussi enlevé le titre de meilleure bière du concours en 2018 avec sa English Brown Ale.

La meilleure cuvée québécoise est survenue en 2017, alors que 33 médailles dont dix d’or avaient été distribuées aux brasseurs d’ici. Corsaire microbrasserie s’était alors particulièrement illustrée avec trois premières places sur quatre podiums.

La prochaine édition des Prix canadiens de la bière doit se tenir à Québec, en mai prochain, si la pandémie le permet, évidemment.

2 réflexions sur “Quand l’imposteur devient le meilleur!

  1. Bonjour Guy. Merci pour ce récit fort intéressant qui m’a rappelé l’histoire de la Brasserie Macauslan avec laquelle j’ai une connexion personnelle.

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